samedi 24 janvier 2009

55 - Vieille stèle

Lors d'une promenade dans le minuscule cimetière d'un village perdu de la Normandie profonde, je m'attardai sur une large et vieille tombe de quelque notable décédé au début du vingtième siècle. La pompe désuète de la sépulture contrastait avec l'humilité des autres tombes. La pierre était érodée mais on y distinguait, gravé en forme de médaillon, un profil auguste indiquant l'origine sociale élevée du défunt. Avec ses allures d'empereur romain, le portrait du trépassé aux moustaches hautaines et distinguées surprenait parmi les stèles modestes qui l'entouraient.

Je ne saurais dire pourquoi, cette tombe vaniteuse me toucha plus que les autres...

J'essayais d'imaginer ce que fut la vie de cet honorable personnage, notaire ou huissier, banquier ou juge, inhumé à proximité de gens simples de la campagne normande. Ému par cet oiseau à moustaches d'un autre temps dégageant par-delà le tombeau, intactes, des ondes de mystère, je me perdais avec délices dans la contemplation de la demeure mortuaire en forme de lit à deux personnes, rappelant un grand livre ouvert. Vaste était la couche funèbre. Comme un drap de marbre jeté sur le mort, le suaire épais s'étendait bourgeoisement. Avec une profonde sérénité, une immense mélancolie.

Sur la surface usée de l'ample pierre tombale je voyais le reflet matériel du ciel impalpable, le commencement tangible d'une éternité invisible, le promontoire de l'infini.

Cette tombe démesurée, bien plus que les hésitants, misérables carrés où gisaient les pauvres gens tout autour, était comme la promesse tranquille d'une survie de l'âme, la certitude de trouver un astre au fond du trou, la foi affichée en lettres de roc que la mort n'est pas une fin où tout doit disparaître mais le passage d'un monde à un autre et qu'en tant que tel il était permis d'en témoigner le plus glorieusement possible... Telles étaient mes pensées au bord du gouffre.

Somptueusement parée, la fosse du notable n'était pas vaine. Grâce à ses artifices, échos de l'invisible, elle m'a permis de regarder derrière la dalle et, au lieu de la pourriture, d'y voir de la lumière.

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