jeudi 30 octobre 2008

191 à 200 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

191 - De l'huile sur un coeur en feu

Amante en pleurs,

Je viens de recevoir ce matin votre lettre couleur sang. Remettez vos habits de scène, la pièce n’est pas terminée.

Pour vous aimer dans toute la gloire de mon coeur d’élite, je viens vers vous l’épée au flanc gauche, le heaume relevé, les pensées droites, la rose de Damas à la main. Je viens vers vous plein d’honneur et de noblesse. Sur un signe de moi, mon cheval pose un genou par terre et courbe l’échine jusqu’à votre cheville où je viens déposer la fleur d’Orient. Vous prenez entre vos doigts délicats l’éphémère joyau floral. Et au moment où vous portez à vos lèvres ce calice de parfum digne d’un baiser, celui-ci vous pique. L'épine sournoise... La rose gît à vos pieds. Amour vénéneux, douloureux, acide et amer. C’est ici que peut commencer notre histoire. Au seuil de la souffrance. C’est un roman qui commence par une perle de sang.

Comprenez Ophélie que cela est digne d’être vécu. Vos larmes font la valeur de ce roman vivant et vécu. Cet amour difficile est à l’image de l’intemporel drame humain. Souffrez donc à la mesure d’une princesse Ophélie, parce que mon coeur vous élève jusqu'à ce rang. Et surtout sachez verser les larmes simples et vraies, terriblement touchantes de la bergère, de la pauvresse, de la fille en deuil. Troquez votre couronne de princesse contre quelques sanglots que je viendrai entendre, pour ma peine et ma joie.

Que je vous nomme Dame ou pucelle, princesse ou paysanne, votre coeur chagriné sera l’égal de tous les coeurs de femmes en douleur. Ophélie, lorsque sur votre joue ruisselle votre peine, je sais que vous vous moquez d’être princesse, et mêlez vos larmes aux larmes de toutes celles qui souffrent un semblable chagrin, vous unissant ainsi au monde entier en un torrent de douleur sublime.

Votre douleur me fait vous aimer davantage. Quelle plus belle signature d’un amour qu’une goutte de chagrin ? Je veux que vous me témoigniez de votre attachement si tendre pour moi par cette encre de cristal, de sel et d’amertume. Je veux voir sur votre lettre prochaine cette trace sublime et dérisoire de la douleur humaine. Pour dépasser la scène de théâtre. Pour faire voler en éclats le jeu théâtral, et le vivre dans toute sa splendeur et sa cruauté. Que meurent et Shakespeare et Corneille, vains rimeurs et poètes, et que vivent nos coeurs de chair humaine, plus sensibles aux coups de poignards qu’aux trop jolies paroles ! Qu’ils soient crevés par les lames aiguës de l’affliction et les épines de l’amour... Gardez donc vos habits de soie et de velours Ophélie, ils seront votre plus beau linceul.

192 - Une noce perverse

Aujourd'hui les choses prennent une ampleur concrète. Depuis plusieurs jours déjà je songe à emporter avec moi un souvenir personnel et marquant de vous. Contre mon corps je désire une trace de votre passage. Une trace sanguine, écarlate, douloureuse, vive et significative.

Contre ma peau j'aimerais sentir l'empreinte d'une caresse âpre de votre main. Il me plairait de garder des jours durant contre ma chair les sillons tracés par vos ongles, ou par quelque lame acérée mue par votre main, contrôlée par votre coeur épris de romanesques sentiments. A l'endroit de mon corps qu'il vous plaira, vous signerez votre amour.

En hommage à votre nom Ophélie, je porterais avec fierté cette blessure d'amour plus glorieuse qu'une blessure de guerre. Ne craignez point la grimace due à ce doux martyr, et prenez-là plutôt comme un sourire, au moment où vous rayerez ma peau contre vos griffes. Ou contre le fer.

(Avant que de me faire bénéficier de cet intime présent, ma peau non infaillible aura été purifiée des invisibles germes, vils ferments issus des miasmes ambiants, ainsi que vos ongles ou quelque autre objet incisif que vous aurez choisi. Voilà pour les précautions domestiques de l'audacieuse besogne.)

A présent préparez votre coeur sensible à cet acte bourreau, et remplacez votre pitié par un courageux sentiment de romantisme. Montrez-vous digne de mon désir de sacrifice.

193 - Le testament d'un collectionneur

Amantes collectionnées, je vous ai choisies pour vos grâces ou disgrâces, pour vos esprits naïfs ou pervers, vos âmes pieuses ou légères, puis j'ai fini par vous aimer pour vos lettres qu'une encre solennelle rendait si chères, et qui tombaient dans ma boîte : éclats indélébiles de vos coeurs de verres. Pour vos mots d'amour j'ai attendu avec fièvre le passage de l'agent des postes, messager impartial de vos gloires et misères apportant dans une professionnelle indifférence vos espoirs, désespoirs, rêves et sanglots.

Je voulais ces mots tombés du ciel, dictés par des éplorées, et les veux encore. Sachez qu'un être parvenu jusque dans mes bras et qui paisiblement s'endort le soir en la légitime alcôve ne m'empêchera pas de continuer à songer à l'amour et à sa naissance : cette miraculeuse émergence annoncée par ces courriers reçus comme autant de maîtresses : vos lettres.

Vos correspondances sont des preuves d'amour que je conserve comme un trésor dans mes classeurs numérotés. Chaque lettre que vous m'avez adressée recèle un miracle imprimé : de l'amour sur parchemin, écrit noir sur blanc, lu, approuvé, signé. Parfois en lettres de sang, folles que vous êtes ! Cette naissance de l'amour dans le berceau de vos lettres, ne fut-ce pas l'accouchement de vos coeurs ?

Faire naître le sentiment amoureux, c'est mon chemin de gloire, la graine obligée que je dois ensemencer en cette Terre aux prises avec les forces du prosaïsme, de plus en plus vidée de poésie.

Amantes de plume, que vous soyez roses ou chardons, pétales ou épines, vous avez éclos sous la lumière de mes promesses et, le temps de votre magnificence épistolaire, vous avez ensoleillé mon terrestre séjour par vos empressements, vos pleurs, votre beauté. Ou votre laideur magnifiée. Mais aussi par vos mains qui traçaient avec une sainte frénésie mon nom sur des papiers soigneusement choisis, puis baisés, parfumés parfois, envoyés avec des fièvres romantiques qui vous flattaient...

Les fruits de cet arbre aux feuilles variées, aux racines profondes que vous adoriez, ce sont vos âmes tombées dans le piège de l'amour, mûries par mon suc amer et doux. Transfigurées. Vous avez enfanté de votre propre douleur d'aimer. Ma terrestre progéniture : un poème dans chacun de vos coeurs. Ne vous ai-je pas aidé à vivre ? Vous le rosier, moi le chêne.

Vos coeurs brisés sont mes oeuvres d'art, des diamants malléables à distance. En esthète je vous aime, amantes lointaines, bijoux durables, âmes blessées que cicatrisera l'éternité... Je vous aime, mes chères conquêtes, non comme des proies, mais comme des trophées qui ornent mon existence.

Soyez heureuses, vous qui vivez le souvenir de ma flamme. C'est ma prière, ma bénédiction, mon testament. Mais surtout mon rachat, ma rédemption, ma délivrance.

Mon salut.

194 - Un cosaque cosmique

Imaginons cette scène onirique, hautement poétique : je suis un cosaque et vous êtes ma compagne d’armes. Enfants du froid, fils et fille des terres slaves, nés et élevés dans les immenses prairies gelées que l’on appelle la toundra.

Nous nous préparons pour une course folle à travers la steppe enneigée. C’est un jeu de guerriers. Viril, didactique, rude et barbare.

Nous sommes en selle, vêtus de bottes et de fourrures. Du haut de ma monture mon regard se dirige vers l’horizon que recouvre la froide écume. Loup affamé, aigle assoiffé d’azur, je suis un souffle féroce. Ce pays est de glace, mon âme est de feu. Vous me frôlez, assise sur votre cheval avec mâle assurance, témérité, arrogance, l’oeil farouche, le poing agrippé aux rênes, quelques mèches de cheveux flottant dans le vent...

Une odeur musquée se dégage de nos vêtements. Les chevaux pleins de fièvre et de sang sont deux flèches vivantes sur le point de se détendre. Fatal, le coup d’éperon les jettera bientôt dans le blanc infini.

Je caresse l’échine de mon cheval. Il se cabre. Ses muscles tressaillent, mon sang fait battre mes tempes. La tension est au paroxysme, animaux et humains sont fébriles.

Face à nous, la plaine. Glacée, vaste, ensoleillée, flamboyante. Le vent de la steppe caresse âprement nos visages. Il joue avec vos mèches, et quand se resserrent vos lèvres sous la morsure du gel un air sauvage fait briller vos prunelles. Bêtes et hommes sont prêts pour la course.

Votre regard hautain croise une dernière fois mon visage martial. Et dans un ultime défi, le toise avec dureté.

Mon talon frappe les côtes de la bête, vous m'imitez et nous dévalons la plaine dans une clameur de rires rauques !

Les chevaux s’emballent, le bruit étouffé de leurs sabots dans la neige se mêle avec harmonie à leur souffle bref et sonore. La cadence de ce mutuel galop s’accorde parfaitement au rythme de nos coeurs. Nous ne faisons plus qu’un avec les chevaux, enchaînés à leur pas de course.

Nous filons côte à côte dans la neige à une allure magistrale, emportés par nos coursiers qui fendent l’air avec fureur. Indociles, excités, admirables. Le vent bourdonne à mes oreilles et à travers la poussière de givre tourbillonnant autour de nous je distingue les traits de votre visage, tendus sous l’euphorie.

Votre air intrépide, vos cheveux fous, votre main agrippée à la crinière onduleuse du cheval, les rênes trop longues qui tournoient dans l’air et viennent s’enrouler autour de l’autre main comme des bracelets de cuir éphémères, l’écume de l’animal qui s’abat en pluie contre votre face et fait plisser vos yeux, les cristaux de neige qui blanchissent vos cils, le tout baigné dans le bruit sourd de la cavalcade, tout cela donne à ce tableau fugace et fulgurant une grâce suprême, une expression de noblesse profonde, un sentiment de grandeur ineffable. Vertigineux.

Dans l’ivresse de l'élan, dans cette étourdissante chevauchée, tout devient féerique : l’instant se fige, se transformant en une sorte de songe.

Et nous chevauchons dans un espace d’éternité, dans un paysage onirique aux dimensions cosmiques.

Radieux, votre visage se tourne vers moi, transfiguré. Votre cheval devient Pégase, je sens ses ailes blanches qui frôlent ma main... Mon cheval a des ailes également. Je ne sens plus le sol poudreux sous ses sabots. Je lève les yeux vers le ciel et vois les myriades de cristaux de neige qui forment à présent la Voie Lactée : nous sommes en route pour l’infini.

Nous étions cosaques, nous sommes devenus des petits dieux, emportés par nos chevaux.

195 - La littérature chèrement payée

Voici une lettre envoyée au directeur d'une revue littéraire.

Monsieur,

Je vois dans le numéro 53 de "Ecrire aujourd'hui" une publicité pour un stage d'écriture cet été en Bretagne, que vous vantez vous-même dans votre éditorial.

Ce stage est étonnamment onéreux. Finalement non, cela n'est pas étonnant... Mais là n'est pas l'affaire qui me préoccupe. Je pensais que votre publication n'avait aucune ambition commerciale de bas étage, méprisant les méthodes habituelles de manipulation des esprits. Or, en proposant ce genre de stage aux ignorants, aux faibles, aux naïfs ou aux grands narcissiques, il est flagrant que vous tirez profit du filon que représente l'amateurisme dans le domaine de l'écrit.

Bien sûr, vous saurez toujours donner d'excellentes raisons pour proposer un tel voyage en Bretagne et à grands frais aux amoureux maladroits de la plume, mais l'objection la plus élémentaire, la plus radicale qui me vient très naturellement à l'esprit est la suivante :

Est-il vraiment besoin d'aller s'exiler en terres extrêmes, aux antipodes du pays (dans le cas d'un marseillais intéressé par ce «voyage d'étude») et aux confins de la sobriété, de la simplicité, pour se faire enseigner l'art de manier la plume ?

Cela me fait songer à tous ces sportifs du dimanche qui ne pourraient courir, et tout simplement courir, sans leur panoplie vestimentaire de marque achetée dans un magasin prévu à cet effet... Cette mode de l'habillage outrancier des diverses activités privées de l'homme contemporain est parfaitement ridicule.

Ne souhaitez-vous vraiment pas, Monsieur, rendre adulte votre lectorat ? Je ne pense pas que les gens assez riches (ou assez inconscients) pour envisager un tel déplacement à vocation prétendument littéraire soient d'une grande maturité, qualité pourtant essentielle de tout écrivain. Je serais curieux de connaître votre avis sur le sujet.

Je vous remercie pour votre attention, et vous prie d'agréer mes salutations civiles.

196 - Les plumes sans aile

Lettre envoyée à un directeur de revue littéraire.

Monsieur,

J'ai lu avec fièvre les pages glacées de la revue «Ecrire Aujourd'hui» (numéro 58), publiée sous votre autorité. Dans l'éditorial votre confrère Monsieur Berthelot -qui n'a pas daigné me répondre- exhorte les plumes de mauvaises volontés à poursuivre leur vol d'essai vaille que vaille, en leur assurant son éminent soutient (dûment tarifé, il ne le précise pas mais cela va de soi). Je constate que vous vous faites le chantre des innombrables producteurs de brouillons qui pullulent actuellement dans cette société où l'amateurisme est devenu un passe-temps en voie de développement, un filon prometteur pour les marchands d'illusions avides de vendre divers conseils, guides, méthodes... Bref, du vent cédé au prix fort.

Aujourd'hui c'est la mode de l'écriture, de la littérature même, qui est à l'honneur chez les profanes assoiffés de prestige calibré et de reconnaissance télévisuelle (la télévision : ce fameux pinacle de la «réussite littéraire», le temple de la vanité moderne !). On fait croire à ces amateurs que le talent littéraire chez les gens de leur espèce est un fait acquis, et que le seul problème pour eux n'est que de revendiquer le droit d'être publié. On mène avec ardeur le noble combat pour la démocratisation de la gent porte-plume, comme si n'importe qui pouvait devenir Hugo.

Vous êtes-vous seulement déjà demandé ce qui se produirait pour la littérature, l'édition, les lectorats, si chaque amateur de l'écrit se faisait éditer ? Cette littérature se vendrait au kilo, et nous croulerions sous une «pensée universelle» de rigueur, et à ce point accessible, à ce point représentative de l'état des choses et si «digne d'intérêt» qu'elle pénétrerait sans complexe jusque dans les sphères les plus crétines de la société. Par exemple dans les asiles d'aliénés.

Mais venons-en au réel objet de cette lettre, ce qui précède n'étant qu'une introduction. J'ai lu sous la rubrique « Beauté du texte » du numéro 58 de votre revue un "poème de choix" (l'auteur est Frédéric Besnard), ainsi qu'un autre de Jean-Noël Gueno page 15 (Même tu l'amour vit-il dans l'eau. etc.), tout aussi surprenant.

Je sais bien que l'hermétisme donne du prestige à la poésie, surtout lorsque l'auteur est dénué de talent poétique... Quand un lecteur comme moi fait remarquer avec beaucoup de bon sens qu'un texte est incompréhensible, il s'entend rétorquer que la poésie est un exercice d'initiés, qu'il ne s'y connaît guère en la matière, que la critique est aisé, etc. Et c'est ainsi que le charabia est encensé dans les pages d' «Ecrire Aujourd'hui», au nom de la promotion d'un genre en déclin. Je pense que si on n'avait pas donné la parole à ces piètres amateurs, la situation de la poésie n'en serait pas là aujourd'hui, et on s'occuperait à relire sans se lasser Baudelaire plutôt que de se perdre en conjecture sur la poésie actuelle. Il faut oser désacraliser les faux dieux et dénoncer l'imposture littéraire contemporaine si on veut défendre la littérature de qualité. Mais est-ce vraiment la vocation de votre revue ?

Je me permets de vous poser la question. Celle-ci mérite que vous y répondiez en toute bonne foi, intelligence et rigueur.

Je vous remercie pour votre attention et vous prie de bien vouloir me pardonner si la vigueur de mes propos vous a ému. Je ne cherche pas tant à railler la littérature actuelle qu'à la rétablir dans sa splendeur perdue.

197 - Le souffle du vent

La revue littéraire "Ecrire Aujourd'hui" n'est pas d'accord avec mes critiques sur la littérature. A la réponse molle et consensuelle de la revue (que je ne recopie pas ici car dénuée intérêt), voici ce que je rétorque :

Marie Doal,

J'ai bien reçu votre courrier et vous remercie de votre attention. Il est vrai que vous me répondez avec coeur, intelligence, habileté, mais également avec beaucoup de partialité. Vous semblez vouloir défendre avant tout une cause qui n'a plus rien à voir avec l'art poétique véritable : la prospérité de votre clocher (qu'elle soit simplement pécuniaire ou plus immatérielle). Ce qui vous intéresse plutôt ici c'est le succès de votre revue, et non pas surtout la gloire du beau verbe. Sur le plan humain je le comprends fort bien. Je ne saurais toutefois souscrire à ce que vous dites sur le plan strictement intellectuel.

En effet, je persiste à penser (avec toute l'honnêteté d'esprit dont je suis capable), que de nos jours l'hermétisme en poésie est la plus flatteuse et la plus facile parure des plumes communes, voire médiocres. Quand on se trouve trop lourd pour décoller, on singe le premier bel oiseau venu et on se prend aussitôt pour un certain albatros. A défaut de planer dans les airs on ne parvient qu'à faire comme le perroquet sur son perchoir : comme lui on en est réduit à répéter de manière grotesque, clownesque, ridicule ce que disent les maîtres.

Aujourd'hui lorsque le poète n'a rien à dire, il le dit sous le masque prestigieux et bien opaque du "sonorisme" (pour prendre un de vos exemples dans votre lettre), et nul n'omet d'applaudir, parce que celui qui n'applaudit pas est aussitôt taxé d'ignare, d'insensible, de provincial. Qui d'ailleurs oserait critiquer des textes si avant-gardistes au risque de passer pour un inculte ? Vous me parlez de la richesse de la poésie contemporaine, «vivante, variée, polymorphe, engagée». Soit. Cela est-il pour autant synonyme de valeur ? La richesse, la variété, l'originalité, la nouveauté ne sont pas nécessairement des gages de qualité et ne sauraient par conséquent être des arguments de choix.

A force de vouloir faire la promotion des excès poétiques en tous genres, il n'y a plus personne pour oser défendre le bon goût, la mesure, la simplicité, l'économie de vocabulaire. Je sais, cette poésie est trop sûre pour être à la mode. De nos jours il faut être audacieux, il faut inventer, comme si les amateurs de l'écriture étaient aptes à une créativité littéraire digne de ce nom. Tenir une plume ne signifie pas pour autant avoir des ailes. On peut être couvert d'effets et ne jamais quitter le sol, à la manière du paon. Faire la roue n'est pas avancer. Il ne faudrait pas confondre l'habit avec le moine. L'avant-gardisme poétique n'est plus qu'une forme insidieuse d'immobilisme pur et simple : les poètes qui s'en réclament pataugent dans les éclatantes incertitudes du genre en habits d'apparat ! N'ont-ils pas tendance, en effet, à confondre le verbe subversif, étonnant, novateur avec le simple vers qui fait mouche ?

Non, la poésie aujourd'hui n'est pas vivante comme vous l'affirmez : elle est expirante, dégénérée, malade, difforme. Elle se cherche des marques nouvelles, et semble ne pas en trouver. Elle ne rayonne pas comme vous le dites et voudriez me le faire croire. Si elle rayonne, c'est plutôt à la manière de ces étoiles mourantes appelées je crois «naines blanches» ou «naines rouges» : elle s'enfle, prend de l'ampleur tout en se diluant dans son inconsistance, devient de moins en moins dense avant d'exploser, de s'anéantir. Elle s'agite en tous sens et c'est vain, parce qu'elle a perdu ses véritables racines. Le fait est que tout le monde se targue de faire de la poésie aujourd'hui.

Raillerait-on la poésie officielle, classique, académique, formelle, celle qui a fait ses preuves ? Je constate que les valeurs sûres du genre ne font plus recette chez les apprentis lettrés.

Il me semble que l'art véritable échappera toujours à ceux qui au nom de la créativité se targuent d'être en avance sur leur temps. S'ils tentent de dépasser les règles formelles du genre, cela peut paraître courageux de leur part mais ça n'est pas nécessairement rendre service à l'art. Prendre des risques n'est pas un gage de réussite systématique. Au moins moi je suis sûr de ne pas me tromper en faisant le choix du passé. Et que celui qui ose se mesurer à Hugo au nom de l'avant-gardisme, défiant mes sages et prudentes paroles pleines de bon sens, m'égratigne le premier avec l'or prétendu de sa plume.

198 - Une étoile vagabonde

Chère passagère,

Je n’ai pas osé vous adresser la parole tout à l’heure dans le train, je le fais ici même si je sais que ces mots ne vous parviendront jamais. Le Ciel les recevra peut-être pour vous, emportés par le vent. Ou par le silence.

Je vous ai vu arriver avec vos trois ivrognes de compagnons, prenant place tous quatre sur les seuls sièges encore libres, juste à côté de moi… Une femme, vieille bourgeoise effarouchée, a changé de wagon. Au début moi aussi je craignais un peu la proximité de cette troupe de va-nu-pieds que vous étiez. Vous fumiez tous quatre dans ce compartiment non-fumeur, vos deux chiens galeux étaient sous les sièges mais surtout, surtout vos allures bohèmes m’effrayaient…

On n’entendait plus que vous quatre dans le wagon. Ce dernier vous emmenait à Laval. Là-bas ou ailleurs… Quelle importance pour vous, me semblait-il ? Très vite je vous trouvais amusants, folkloriques en dépit de la peine que me faisaient deux d’entre vous, ravagés par l’alcool.

Je devinais sans peine qu’aucun de vous quatre n’avait de billet. Tout le monde dans le wagon le devinait. Vous n’aviez pas des têtes à posséder des titres de transport. Vous étiez quatre espèces de SDF, quatre squatters de belle humeur, quatre enfants de Bohème. Bruyants mais joyeux.

Cette bande pittoresque attirait tous les regards. Les yeux du compartiment entier étaient braqués sur les trois hommes et la jeune fille. Et c’était la jeune fille que j’avais en face de moi. Cette passagère, c’était vous.

Nous avons croisé nos regards. Vous étiez belle avec votre visage un peu garçon. Vos traits étaient durs, ambigus, et votre regard était à la fois doux et rude. J’aurais voulu engager la conversation avec vous, mais un rien de bienséance m’interdisait de vous adresser la parole. C’était ridicule, mais j’avais de l’éducation.

J’étais attentif aux propos d’ivrognes que vous échangiez avec vos trois compagnons, tant votre langage était cru : quand vous parliez, c’était comme si la rose crachait du fumier. Un vrai charretier en robe blanche. Une canaille avec un visage d’ange. Mais quand vous ne parliez pas, c’était l’enchantement. Avec vos yeux pleins de braise et de rocailles, vos allures d’oiseau sauvage, votre charme d’androgyne, je vous imaginais princesse au royaume des garçons manqués.

Le contraste était grand entre vos manières grossières, votre parler infâme, les trois pauvres diables qui vous accompagnaient, et la délicatesse de votre visage, l’angélisme de vos traits, le mystère de votre regard. Vos ailes blanches mêlées de vase avaient des grâces vénéneuses : la vaurienne qui me faisait face était troublante.

Avez-vous lu ce trouble dans mon regard ? Le plonger dans vos yeux était un étrange supplice, et j’étais à la fois effrayé et ravi de le faire. Ces braises permanentes dans vos prunelles devenaient mon plus cher enfer.

Le diable était irrésistible.

Vous étiez belle comme le vent, la brume et la pierre : la douceur de votre visage se mêlant à cet air si dur vous donnait un charme naturel et sauvage. Et vous étiez belle également comme la tempête, la grêle et les cailloux. Belle, ainsi qu’une Vénus fine taillée dans un roc grossier.

Vous donniez du «Monsieur» pour me demander si la fumée de votre cigarette ne me dérangeait pas. Sans surprise, je vous ai répondu que non. Alors que oui… Et puis je vous ai souri, policé. Le train s’est arrêté avant Laval, je suis descendu.

Je n’oublierai jamais ce cygne sauvage croisé dans le train, accompagné de ces trois lascars au vol ras. Adieu, oiseaux de malheur. Adieu, la passagère.

199 - Un oisif mélancolique

Je m'étais égaré loin des grandes artères de la ville dans une de ces innombrables rues secrètes que le touriste ne visite jamais. Réceptif à l'atmosphère vieillotte de ces quartiers retirés, attentif aux moindres détails pittoresques, sensible au parfum périmé émanant des murs, tout me semblait hors du temps, figé, provincial, avec un je-ne-sais-quoi de bourgeois et de désuet.

Je longeais ces sages propriétés en jetant de temps à autre un oeil à la dérobée sur les jardins. Certains étaient minuscules, dérisoires, stricts et sans goût, d'autres plus vastes, plus botaniques, recherchés. Tous étaient entretenus avec un soin typiquement citadin. Ils me paraissaient pleins de charme et de tristesse : charme suranné si particulier dégagé par les photos jaunies datant de un siècle, tristesse banale de la banlieue...

Dans cette rue anonyme tout n'était que torpeur, mélancolie, portes closes et cheminées éteintes. Ce monde ceint par ses propres toits était silencieux et morne comme un dimanche.

Je devinais les destins sans histoire, humbles, ordinaires, indolents qui s'écoulaient, s'évaporaient derrière les fenêtres sans style. En passant devant des fenêtres plus cossues j'imaginais d'autres existences, moins ternes, plus remarquables, pleines d'aventures, chargées de mystères. Je me représentais les êtres jouissant de leur maison, de leur jardin aux heures privilégiées de la vie. J'entendais sans peine le bruit des choses familières qui se passaient dans ces demeures. Je me figurais les faits insignifiants qui devaient ponctuer les jours anodins de cette rue sans nom.

Et je cheminais.

Je voulais prolonger ce délicieux malaise qui m'avait envahi à la proximité de tant de banalité cachée. C'était ordinaire et inattendu, simple et touchant, commun et secret, sans surprise et cependant surprenant. J'errais, plein d'une langueur vague et pénétrante, légère et démesurée, sourde et identifiée, douloureuse et délectable. Et je me perdais sans compter dans cet état singulier, le pas oisif, le regard rêveur.

C'était vain et beau, inutile et délicieux, stérile et troublant.

200 - Un rêve éveillé

Lors d'une promenade nocturne à cheval, une bien étrange aventure m'est arrivée.

Je filais à molle allure sous la lune, bercé par le son monotone et doux des sabots de ma monture dont l'écho résonnait avec poésie dans la campagne.

Mélancolique, je me mis à songer à l'improbable aimée qui tardait à venir. Mais bientôt assoupi par le pas alangui de l'animal, je posai la tête contre sa nuque. Le doux Morphée m'emporta bien vite, tandis que je demeurai à demi couché sur le cheval qui cheminait toujours. Et le songe prit le relais de la rêverie amoureuse... Mais la vision onirique prit corps, tournant à la féerie, et je crus voir ma belle pour de bon :

Elle marchait à mes côtés, se métamorphosant imperceptiblement en une jument superbe : ses cheveux d'or se changèrent en crinière et sa robe claire épousa ses chairs. Je la montai, aussi fier qu'ému. Aussitôt elle m'emporta dans une chevauchée impétueuse pour prendre son envol vers l'astre de nuit.

Crinière au vent et bouche écumante, elle se lança dans les airs, frénétique. Mes éperons étincelaient au clair de lune, son crin ondulait fièrement, le vent frais giflait ma face échevelée. Une joie inédite m'inonda.

Je m'étourdissais dans ce saut vertigineux, les doigts agrippés à sa crinière en bataille. Le zénith atteint, dans un long hennissement qui la fit se cabrer avec grâce sur le fond des étoiles, elle communiqua à la lune son bonheur de sillonner le firmament à mon côté, elle cavale ailée, moi baladin sidéral.

Enfin, dans un tourbillon furtif nous disparaissions vers les étoiles.

Reprenant bientôt mes esprits, je m'aperçus que je m'étais égaré durant mon bref sommeil sur le dos du cheval qui, impassible, avait continué sa marche. Et, retournant sur mes pas, je fixais la lune qui éclairait mon chemin, songeur, l'air dubitatif...

Emu.



181 à 190 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

181 - Un poison candide

Elle a le sourire mutin, le geste puéril et la mèche fringante. Deux prunelles venimeuses qui effraient déjà les hommes. Et font rougir le diable. Voilà une innocente au bord de l'enfer qui joue avec le feu, à peine consciente. Une âme d'enfant dans un corps de sorcière...

C'est une fleur qui s'éveille, douce, fragile, pubère. Et sanguine, vénéneuse, redoutable. C'est une eau vive qui jaillit, fraîche, chaste, prude. Et trouble, écarlate, insolente.

En ces traits gracieux et paisibles on sait de futures amours pleines de promesses trahies, de rendez-vous sous l'orage, d'étreintes impies, d'infidélités ostensibles et de serments voilés. Dans ces cheveux trop fins, trop longs, trop clairs, on devine déjà l'empreinte des baisers égarés, des brins de paille oubliés, avec la brise tardive du soir pour les chasser. Et puis des senteurs de musc dans le cou. Et un ou deux jaloux pour le lui reprocher.

Les robes blanches du jour alterneront avec les coupables échancrures de la nuit. Les ébats éhontés au fond des théâtres, les étreintes furtives aux coins des monuments, les baisers de voleur derrière les portes cochères et les soupirs indus destinés aux oiseaux de passage succéderont aux heures interminables passées à bayer sous les étoiles en sempiternelles compagnies : amants de longue haleine et inconnus fiévreux se croiseront sous les dentelles de ce démon sans défense. Inconstance innée et pouvoir insidieux de la femme ! Tant d'années glorieuses à venir... L'ange a hérité de la beauté des damnées. La créature terrestre prend forme. Et elle a toute une vie de femme à faire.

C'est une pucelle de quinze ans.

182 - Enigmatique et ambigu

Dans mes yeux mystiques pénètre la lumière du monde et des étoiles. Mon regard qui se pose sur vous est un perpétuel point d'interrogation.

Les initiés voient dans mon oeil une lueur sacrée, comme si j'étais le vivant autel de quelque divinité. Les méfiants me supposent messager des enfers, soupçonnant un mauvais mystère au fond de mes prunelles.

Certains admirent mon aspect racé, mes formes élégantes, ma face pleine de distinction. D'autres craignent mon ombre qui passe, mon pas silencieux, mon air subtil. Il est vrai que si la société des gens bien nés ou fortunés fait mon affaire, me roulant dans de la soie entre le salon d'une comtesse et le bureau d'un archiduc, j'évolue avec autant d'aisance en pires compagnies. Et, indifférent à tout, perdu dans mes pensées obscures, je trouve également mon bonheur dans un taudis.

Rien ne m'atteint au fond de mon silence et de ma solitude. Et si j'ai l'air dédaigneux envers mes hôtes c'est que, accueilli chez le riche dans un fauteuil de style où je laisse mon empreinte douteuse ou bien chez le pauvre où je crache dans un méchant panier percé, partout on me traite comme si j'étais un dieu. L'humble comme le fortuné me flattent avec une égale dévotion. Ils me prodiguent louanges et caresses à n'en plus finir, même si la plupart du temps je demeure de marbre, observant de loin durant des heures entières mes bienfaiteurs.

C'est surtout dans ces moments interminables et silencieux où j'observe que l'on me prend pour une divinité. Bénéfique pour les uns, méchante pour les autres.

On m'a donné le nom de chat.

183 - Les misères de la laideur

Mademoiselle,

Votre hymen intact ayant traversé les ans avec gloire et trompettes, vous n'en êtes pas plus honnête pour autant. Le vice masqué vous plaît. La fange, pourvu qu'elle se voile de chastes atours, vous agrée.

Vous êtes laide. Laide et corrompue. Méchante et perverse. Les âmes naïves vous aiment et les coeurs puérils vous encensent sans compter pour les dignes apparences que vous arborez. Moi je vois non seulement les traits de votre visage ingrat, mais encore la noirceur de votre âme aigrie. Si vous étiez belle, vous seriez une sainte. Mais vous êtes laide, et vous êtes un démon.

Les bigotes vous prennent pour un modèle de vertu. Le bon prêtre auprès de qui vous faites si bonne figure, dupé par votre piété mensongère, vous croit pleine de valeur. Comme si votre absence de joliesse conférait quelque beauté à votre âme... A la beauté va la vertu, à la laideur va le vice. Vous êtes née laide, vous mourrez damnée. Vous avez beaucoup reçu en disgrâce, il vous est donc beaucoup demandé en échange.

Mais vous êtes faible, et vous préférez la facilité. Votre malheur était pourtant prometteur. Vous l'avez gâché. Vous n'avez pas su contrer le vice. Le combattre vous aurait grandi. Mais vous l'avez adopté.

Vous êtes laide en dehors, laide en dedans.

184 - La brique et le lierre

Je me suis vu sous des ombrages qui me sont chers, en un lieu oublié, connu de mon enfance seule. Et sous ces feuillages mouvants d'un été ancestral, des instants prestigieux de ma jeune existence se sont écoulés, paisibles et tendres. Cette terre en souvenance, cet éden humblement foulé par l'âge puéril, ce jardin de nostalgie, c'était un parc, celui d'un château.

Les frondaisons qui ondulaient sous la brise chaude rivalisaient de majesté, de gloire et de grandeur séculaire avec la façade claire du château. Je me souviens particulièrement de ses murs élevés, de ses fenêtres innombrables, de son aspect magistral et gracieux comme d'un paysage quotidien, familier, rassurant. Ces images m'envoûtent comme lorsqu'on retrouve, une fois adulte, une ambiance ensevelie dans la mémoire se rapportant aux heures innocentes de la vie.

Où me trouvais-je ? Qui étaient les hôtes de ce château ? Quel âge avait ma jeune âme ? Et ce château, était-ce, réellement un château ou bien un rêve, une fantasmagorie d'enfant ?

Plus tard j'ai retrouvé ces lieux perdus. J'ai goûté à plein coeur ces saveurs idylliques, j'ai senti le poids incomparable de la pierre érigée à glorieuse hauteur, j'ai eu chaud sous le souffle refroidi des passions d'antan, éteintes depuis un siècle. J'ai reconnu les verdures estivales apprises je ne sais où, je ne sais quand, et j'ai eu l'ivresse d'un jour, l'ivresse mélancolique. J'ai retrouvé mes chimères. C'était sous le règne de l'Amour, c'était au temps de l'indélébile illusion. La rencontre enchanteresse de la vigne vierge avec le vieux mur de briques rouges. Ce que l'on nomme communément : le lierre. Sur la pierre.

Un pan de mur ombragé par un bouquet de feuilles et quelques soupirs. Un pan de vie jamais effrité, toujours debout, dignement illustre, auguste, sans âge. Intact. Inébranlable.

Mais laissez-là mes briques, mes feuilles et mes larmes, aujourd'hui j'ai besoin d'être aimé pour une raison qui vaille, enfin : pour rien.

185 - Le violoncelle

Chère amie,

En ce jour de pluie Euterpe est à l'honneur : le violoncelle déverse ses larmes molles et sucrées, sanglotant comme un gâteau sénile. J'entends sa satanée mélodie. Quelque chose de dominical, poussiéreux, mortel... Il me parle et j'écoute ses fadaises : de la salade morose mêlée de confiture. Dessert de l'âme exquisément écoeurant. Le mets indigeste éveille en moi des appétits inédits : votre nom soudain est délectable.

Effet étrange des états d'âme morbides, alchimie mystérieuse des saveurs honnies...

L'archet est un peu plus rapide. Les cordes s'agitent et peu à peu la guimauve durcit, le miel devient marbre, la courbe se brise... Et j'entends des sons de silex. Alors votre image banale s'estompe, vous devenez plus linéale. Une tige.

Perçantes et plaintives, les notes vous habillent d'épines. L'instrument se fait de plus en plus viril, et vous m'apparaissez avec un sourire écarlate.

Des sons sortent des ténèbres, lourds et solennels. Porté par ces ailes sombres et majestueuses, je m'affranchis des quotidiennes pesanteurs. Etat de grâce... Vu d'en haut vos traits sont plus flous. Transfigurés.

Les sons montent, montent...

La musique se fait aiguë, aiguë... Si aiguë que le rêve se brise !

Comme une corde trop fine qui se casse.

Et à travers le chant strident de l'instrument redevenu source de migraine, je crois entendre vos sempiternelles jacasseries.

186 - Le feu du diable et le saut de l'ange

Madame,

Afin de mieux vous éclairer ici sur les événements et que cela éveille votre coeur à l'humaine pitié, et qu'il se rallie ainsi d'emblée à ma cause, je vais vous narrer un fait lyrique des heures heureuses de ma vie avec votre rivale.

Sachez qu'autrefois, à la faveur d'une grâce divine sans doute, je fus maître des cieux chartrains. C'était en mars 1992, et j'étais accompagné de ma mie, charmante jeune personne à l'époque qui partageait les jours de ma vie, et mon alcôve. Il s'agissait bien entendu de ma très chère et très aimée Isabelle. Oui, j'ai foulé d'un pas glorieux -et nocturne- l'illustre toit du monument sacré de la vieille cité. Explication : j'ai violé l'espace interdit à partir duquel j'ai pu par la suite accéder à un échafaudage (des travaux de rénovation avaient lieu) menant directement sur le toit de la cathédrale. C'était au début de notre relation, et en ce temps la fortune ne cessait de nous être favorable. Privilège, semble-t-il, réservé aux neufs amants.

Toutes mes frasques, toutes mes romanesques tentatives, étrangement, dépassaient mes espérances. Bref, j'avais lors de cette singulière expédition sur le toit de la cathédrale de Chartres pour uniques complices la sélène lueur, la muette escorte des statues croisées au fil de l'ascension, et ma douce amante à mon bras, sorte de Juliette enchaînée à mon destin de bouffon et d'acrobate.

En ces prestigieuses et illicites hauteurs, nos coeurs unis volaient, planaient, s'émerveillaient au-dessus de la ville endormie. Nous avions la sensation d'une félicité inconnue jusqu'alors, étrangère de nous-mêmes et du monde. En vérité nous étions devenus comme des dieux, des anges, des séraphins, le temps d'un tourbillon inoubliable de nos consciences anesthésiées par l'amour mutuel.

De cette escapade insolite, nous avions rapporté une clef, objet trouvé aux hasards des portes rencontrées, franchies ou non, mais qui nous paraissaient toutes célestes là-haut (nous avions arpenté les couloirs multiples de la cathédrale, passé quelques portes, et escaladé les nombreux escaliers cachés dans les tours, et les divers sommets). Cette clef fut longtemps notre secret. Elle demeure visible et palpable aujourd'hui, matérielle, telle une preuve tangible et dure comme l'acier de notre amour originel. Elle gît en un coin oublié de ce lieu d'où je vous écris cette lettre. Partagez donc avec moi le secret de l'existence de cette clef. Soyez le témoin de cet intime trophée arraché au ciel chartrain, symbole d'un amour mémorable.

Et aujourd'hui avec les événements, le passé qui s'éloigne, se renforce ma mémoire aimante envers certaines pierres millénaires. Celles d'une cathédrale de France un instant de ma vie approchée, et caressée : vous savez laquelle maintenant. J'ai gardé la certitude du beau, de cette beauté effleurée, sentie, et qui est plus durable que la pierre elle-même qui l'exprime.

Au contact intime de ce noble édifice, j'ai acquis un trésor humble et magnifique à la fois : des visages de pierre aux allures gothiques gravés dans mon esprit, jadis témoin. Et aujourd'hui ces statues jamais oubliées me parlent. Elles me rappellent les temps bénis où nous venions les saluer, elle et moi, avec espièglerie et insouciance. Nous accédions ainsi jusqu'au faîte du monument, aidés par quelque génie céleste complice et protecteur.

Depuis le parvis je convoitais les hauteurs où, glorieux, trônaient ces rois de pierre. Et, poussé par je ne sais quelle force du ciel, j'atteignais avec ma tendre complice leur visage et nos regards se croisaient enfin de près, de tout près. Des ailes pieuses assurément, à travers un échafaudage providentiel et une surveillance négligente, nous amenaient à hauteur de ces saints figés.

Combien il m'était aisé en ces temps d'aller vérifier de si près le sourire plein d'onction de ces lointaines silhouettes haut perchées ! Je me jouais alors des gargouilles hors d'atteinte pour rejoindre ces inaccessibles statues. Pour les profanes intrigants, pour les coeurs sans fantaisie, la mission eût parut impossible, et sans intérêt d'ailleurs. Mais moi j'avais le coeur en plein éveil et tout me devenait possible sous l'oeil de Cupidon. Et aujourd'hui, alors que je vous écris cette lettre, sachez que ces têtes immortelles me rappellent.

J'aimerais prendre par la main Isabelle et l'emmener, comme avant, jusqu'à la cime de l'une de ces églises gothiques, afin de sanctifier une seconde fois notre amour et de le sauver définitivement à travers l'ivresse poétique. Oui, j'aimerais faire revivre ainsi cette union qui a pris racine sur cette Terre il y a plusieurs années, et qui doit naturellement se déployer vers le céleste horizon. J'aimerais faire cela sous le regard pétrifié et approbateur d'un de ces bienveillants témoins ancestraux rencontrés là-haut jadis, à Chartres.

Parce que mon destin éphémère s'est lié aux têtes moyenâgeuses depuis le jour où elles se sont penchées sur moi en 1992.

Mais un jour, peut-être, j'irai retrouver les hauteurs inviolables de mon passé, à Chartres. Je m'approcherai ce jour-là une nouvelle fois encore, la dernière, du point le plus élevé de la cathédrale. Plus près du Ciel. Et plus loin du sol.

Et puis, plein d'une définitive résignation, du haut de mon perchoir sanctifié par les siècles je saluerai le monde avant de répondre à l'appel irrésistible du vide. Et mon corps défait et inerte se retrouvera en communion intime avec la pierre usée, en bas, tout en bas du saint édifice. Je serai alors au pied de l'édifice de ma vie. Et ce sera tout.

Parce que j'ai connu par le passé l'ineffable émoi provoqué par l'amour, là-bas à Chartres, au sein de la cathédrale, et que je n'ai jamais pu oublier ce vif instant d'éternité, j'irai mourir en cet endroit du monde où est demeuré pour toujours mon coeur touché à mort.

Ma chute me sera plaisante comme le vol d'un chérubin. Un coup d'aile, certes furtif et funeste, mais qui me fera survoler les siècles, les illusions et la souffrance. Ma gloire, qui durera une seconde ou deux, sera intemporelle, universelle, absolue.

Et j'inviterai le souvenir de Isabelle, le souvenir de son nom, de son visage, de sa voix et de son sourire à ce banquet d'azur, de désespoir et d'amour mêlés. Je serai réconcilié avec l'Univers entier, et durant une seconde ou deux, le temps de ma chute, tout me semblera beau, enfin. Suprêmement. Fatalement.

187 - Le plomb de l'amour

Retour en arrière : 1992, le Mans. Année faste. Ma vie bifurque, chavire, s'engage, s'allège : je suis deux.

Dans le Jardin des Plantes de la ville, elle et moi nous scellons par les sangs croisés notre hyménée. A la manière des gitans. C'est viril, romantique, puéril et poétique. Je suis alors au faîte de ma gloire, parvenu à la porte de l'Olympe. A travers les lèvres de l'amante je suis en possession de la clé du Temps : passé et futur se diluent dans la paix nouvelle d'un Présent partagé, sous la forme d'un premier baiser. Bref, mon coeur bat.

Le monde prend la couleur de ses yeux clairs et cérulescents. Mon univers, sacralisé, ne s'ancre plus dans l'espace physique mais dans la profondeur de mon être : je prends racine.

Puis, riche d'une sève neuve, je croîs, je monte, je m'élève, je m'édifie. Tout en illusion.

Etourdi par le mirage, je suis tombé dans tes bras. Dans tes bras Sandrine, après un lustre passé dans la commune alcôve à vénérer un rêve brisé. Dans tes bras demeurés pourtant muets, croisés, lointains. Que me reste-t-il Sandrine ? Mes mots vers toi, porteurs de mes rêves les plus éclatants, sûrs messagers de mes jours perdus, ces jours désespérément reconstruits, réécrits, réinventés à la lumière de tes sourires, de tes yeux, de ton visage chéri.

Nous sommes en 1997, en fin d'année. Que reste-t-il de mes amours ? Le sang a séché, les coeurs se sont taris, l'eau à coulé sous les ponts.

Et toi Sandrine, tu demeures loin de moi, belle comme l'aube, l'onde et le vent.

188 - L'esseulée

Vous l'esseulée, vous le visage qu'on ne regarde jamais, les yeux qu'on ne croise pas, le coeur qu'on évite, vous l'épouse de l'indifférence, vous la jeune fille que l'on dit sans grâce et sur qui nul amant n'attarde son regard, un coeur bat pour vous.

Malgré, vous, malgré moi et malgré tout, je suis épris de votre pauvreté.

Les galants sur vous lèvent les yeux et passent, ne laissant ni fleurs ni compliments, et au bal votre bras demeure veuf, éconduit, tandis qu'on danse avec vos soeurs plus jolies tout en leur clamant mille fadaises...

Mais si tous dédaignent vos traits modestes, vous l'indésirable créature, vous la fleur unique semblable à aucune autre, tous ignorent vos dehors cachés d'oiseau blessé, à travers vos larmes versées sans témoin, vos soupirs dédiés aux jours vides qui durent, votre coeur cloîtré et vos yeux depuis toujours baissés, mariés avec la poussière, à cause de ce poids de tristesse sur vos paupières.

Que vous êtes touchante, et tellement belle, quand vous vous révélez si humble, le visage plein de langueur : vous ressemblez à un ange en détresse. Votre secret renoncement m'attire de la même manière qu'une terre sévère et inculte, si austère que le silence n'est pas silence, mais prière émanant des pierres et des ronces.

Vous avez pour moi le charme sûr de l'authentique mélancolie, et votre coeur que l'on néglige est une délicatesse que je vous demande de m'offrir parce que vos pleurs, pareils à une neige sur un paysage terne, donnent un prix à ces prunelles qui se posent sur moi.

Discrète et pudique, simple et sage, sans toilette, ni ruban, ni soie, votre grâce siège sur votre front nu. Et votre sourire qui me sera voué formera votre unique et sobre parure.

189 - Lettre d'amour à une jeune et laide bigote

Mademoiselle,

Permettez qu'un prétendant digne de votre chaste hymen se manifeste enfin. J'aime singulièrement vos grâces d'oiseau dépourvu d'ailes, vos airs d'ange déchu, votre vol de papillon sans mystère. Vous êtes un joli caillou, une sorte de diamant obscur au prix indéfini. Votre front dénué de lauriers vaut votre regard sans fard. Vous êtes d'ailleurs si vraie que l'artifice serait une offense à votre nature.

Votre authenticité inédite a les charmes bruts de l'amertume.

Vous êtes belle comme un rêve dont on ne se rappelle plus.

190 - Vertueuse et improbable

Je rêve d'une fille, qui serait bientôt une femme, dont le visage sage, doux et paisible se tourne vers moi, empreint d'un amour infaillible, profond, noble, un amour hors du commun. Son regard plonge dans le mien, et devine mon âme. La jeunesse, la grâce et la joliesse sont ses naturelles parures. Elle a la chevelure aux teintes douces d'automne ou aux éclats vifs du soleil, peu importe, et ses yeux vifs et clairs ont les reflets nets du ciel.

Son coeur est demeuré pur, son corps sans tache, et sa parole a plus de poids que l'or. Elle porte en elle le mystère des grands départs. Dans sa voix qui prononce mon nom, il y a le ton d'un ailleurs, un long rêve qu'elle ne dit pas, mais que l'on pressent. Son monde intérieur est une riche bohème. Son esprit est sûr, avisé, éprouvé, et son tempérament est prompt aux rêveries et à la mélancolie.

Son corps est fin, gracile, sa chair a les lignes délicates des nymphes, et ses formes sont généreuses. Sa vertu préservée m'est vouée tout entière. Elle a la force d'âme de ceux qui ont reçu le divin enseignement. Elle est fidèle, constante, mesurée. Elle aime l'honneur, l'humilité, la vérité. Elle rêve de gloire, et la mort n'est pour elle qu'un adversaire déloyal que méprise son âme éprise de lumière. Elle est honnête, sensible, saine. Elle brille par le coeur et par l'esprit. Elle a le goût du classicisme, des traditions et des connaissances séculaires. C'est une fille de bien.

Je ne connais pas son nom encore, mais existe-t-elle vraiment cette compagne imaginaire ? N'est-elle pas tout près de moi finalement ? Peut-être est-elle loin, trop loin dans l' irréel... Pourtant j'ose croire qu'un jour elle sera là. Je la reconnaîtrai, et elle me reconnaîtra. Cette fille, cette amante idéalisée et imaginaire, je l'aime déjà.

Je l'attends, comme j'attendrais un rêve.

171 à 180 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

171 - L'honnêteté de la chair

Daignez, Mademoiselle, prêter quelque attention au discours inattendu que je me suis mis en devoir de vous tenir ici, au lieu de plus accoutumés propos.

L'amitié que je vous porte est vive et constante, vous le savez. Mais je dois vous avouer que c'est essentiellement vers le siège de mes émois les moins avouables que se font sentir les effets de cette amitié. Les passions que vous avez su inspirer à mon coeur par trop sensible sont, paradoxalement, celles de la chair. Vous ne l'ignorez plus désormais. Ce commerce qui me lie à vous en devient certainement éhonté à vos yeux, cependant considérez je vous prie ces manifestations outrancières de ma virilité comme les immédiats, naturels et plus sûrs hommages qu'un ami puisse rendre à une femme de prix.

Sachez faire bon accueil à cette flamme que vous n'espériez point. Elle a au moins le privilège d'être durable, sincère.

Mais si vous estimez qu'à la proximité de votre beauté mon coeur s'est corrompu au point d'en vouloir à votre vertu, alors sachez que loin de refroidir ces feux que je vous destine, vos raisons, pour austères qu'elles fussent, ne feraient au contraire que les aviver.

Votre séant, bien plus que votre habituelle conversation, agrée singulièrement à mon coeur esthète. Quant à vos plus nobles appas, ils m'inspirent, Mademoiselle, autant de passion. Votre personne entière trouve grâce à mes yeux. Mais votre intact hymen est encore à conquérir, et c'est avec transport que j'irais vérifier la profondeur de votre piété.

Mais je vous sais sage et non corrompue. Aussi, si vous chérissez ce fragile écran de chair au point de refuser de le sacrifier en l'honneur d'un ami, je vous propose de recevoir plus à l'étroit mais avec autant de conviction l'hommage de ma ferme, profonde, impérissable amitié.

172 - New York un dimanche d'hiver

Exilé chez les Yankees, j'ai parfois éprouvé un immense ennui dans la Babylone de béton.

En hiver, sous le coup d'une lancinante averse de neige fondue ou d'une ondée mollement déversée par un ciel sans espoir, New York prend le visage morose et plombé des jours de deuil et d'ennui, qui est le visage universel des grandes villes sous les pluies de janvier.

Les rues sans soleil semblent soupirer sous la glace qui se brise, sous les pas qui s'enlisent, et les grands pans de murs qui s'élèvent de toutes parts pèsent comme des ombres démesurées sur l'âme des passants.

Les visages humains prennent alors le ton terne de la ville. Et les pierres comme les coeurs, définitivement, sont tristes.

Les têtes si hautes de New York, je veux parler des tours, soudain paraissent déshéritées, misérables. Leur majesté, leur gloire, leurs regards de géants, si fameux au soleil, s'effacent devant la grisaille immense qui s'étend, répercutée de pierres en pierres, de rues en rues, de gratte-ciel en gratte-ciel...

Des ailes sombres recouvrent ce monde qui est un univers entier depuis le Bronx jusqu'au fond de Brooklyn en passant par Manhattan et le Queens, et lorsque je longe les hauts murs de la rue ou j'habite, je me sens au bord d'une tombe sans limite.

La cité a des allures de ville de province sous l'onde froide de la saison brumale, et je sens tous ses habitants prisonniers d'un interminable dimanche aux barreaux de béton gigantesques comme l'Empire State Building. Alors je vois un peuple encerclé de gratte-ciel, recouvert de froid, de pluie, de béton. D'ennui. Les tours de New York ne me font pas rêver.

Mon éden n'est pas ici.

173 - Des pensées élevées

Quelque part à Manhattan, à côté de bouquets de tours serrées, agglutinées, lesquelles forment un véritable hérissement de béton, s'érige, semblable à un phare, une tour relativement isolée surplombant un des rares espaces encore libres de la ville. C'est une belle construction, élancée, élégante, longue et fine comme une tige, d'inspiration gothique, à l'architecture étudiée, raffinée.

Lorsque je la contemple de ma fenêtre rue Plymouth ou que je passe à proximité, empruntant le fameux pont de Brooklyn, j'aime à imaginer que je suis installé tout en haut, à l'étage ultime formé par son toit aux allures de clocher de village.

Dans cette pointe, minuscule vue d'en bas, intime comme une mansarde, secrète ainsi qu'une chambre, confidentielle telle une alcôve, je me projette, rêveur, charmé par ses sculptures de pierre et de bronze qui me rappellent les cathédrales de France. Cette tour semble vide, de haut en bas. Elle me fait songer à un donjon à l'abandon. Avec délices mon imagination m'entraîne dans les hauteurs magistrales de cette flèche... Alors les yeux fermés, le coeur léger, je pénètre sous sa toiture filiforme devenue le refuge de mon âme exilée.

Je me figure être le seul locataire de la tour, installé au dernier étage, loin du sol. Ce sol si dur, lourd, vain... Oui, j’aimerais aller là-haut, habiter sous ce faîte étroit, fuselé, demeurer dans ce cloître charmant qui trône dans les airs. Avec pour seules compagnies le vent et les nues, mes souvenirs et le ciel entier, indifférent au monde d'en bas.

Je ne serais préoccupé que par le vol des grands oiseaux qui tournoient dans le ciel de New York, au-dessus de ses cimes de pierre et de béton, et qui viennent parfois frôler le sommet de cette tour isolée.

Au haut de cette singulière érection gothique surgie du XXème Siècle, mes rêves se sont accrochés, et ma mélancolie a pris place. Mes pensées, prenant appui sur la tour qui de son doigt doré me désigne un monde céleste à gagner, s'élancent vers un infini radieux, vers un imaginaire plein d'idéal. Et lorsque le soir de ma fenêtre qui donne sur les gratte-ciel mon regard se dirige vers cette tour isolée, insensiblement s'élève au ciel le chant triste de mon âme adressant ses prières aux étoiles.

Je sais que par-delà l'océan, à Chartres précisément, une autre âme m'entend.

Cette âme, c'est vous.

174 - Les vitraux de Chartres

Dans mon imagination ardente, il est des lieux où je puis vous retrouver en toute heure. Ces endroits, véritables oasis intérieures, ce sont mes souvenirs des cathédrales. Les édifices ressurgis de ma mémoire sont mes refuges les plus sûrs en ce monde agité. C'est là, dans les tréfonds de mon âme en proie à ses plus chères réminiscences, parmi des colonnes jaillissantes, sous des voûtes élégantes à l'extrême, entre des rangées hautes de vitraux que m'apparaissent vos traits. Graves.

Désireux de fuir les bassesses de ce monde, les yeux fermés je me glisse dans l'ombre sanctifiée de cette cathédrale en souvenance pour vous rejoindre... Alors, ancré dans mes rêveries, je laisse libre cours aux fantaisies qui me prennent sur le moment et qui m'emportent plus loin que les admirables hauteurs gothiques. Voici un exemple de ces fantasmagories ascensionnelles :

J'imagine que nous sommes seuls, vous et moi, dans ce sanctuaire de pieuse beauté. Dehors la saison ne m'importe plus, tant je préfère au soleil cru (qu'idolâtrent les jouisseurs impies) le jour transfiguré diffusé par les vitraux. La foule hérétique peut bien danser, boire ou chanter, seuls valent à mes yeux le silence des pierres et le bruit discret de nos pas en cette maison de paix. Le reste du monde ne me préoccupe pas dans ces moments où je flâne en votre compagnie sous les ogives. Et ma rêverie se poursuit.

A genoux à vos pieds, je lève les yeux vers votre visage qui se baisse sur moi. A l'arrière plan resplendit, éblouissante et majestueuse, la rosace de la cathédrale. Je suis saisi devant la beauté solennelle de ce tableau impromptu formé par votre visage et la mosaïque de verres multicolores... Vos traits se croisent avec la lumière dans une perspective inattendue qui donne une féerie particulière à votre regard, à votre face dont les contours bien découpés se détachent sur le fond de clarté enluminée.

Puis peu à peu votre visage se morcelle, se disperse de manière surnaturelle avant de s'évanouir... Nullement effrayé par le prodige, mon émotion n'est est pas moins profonde, et front contre terre je verse les larmes pures d'une joie mystique. Une fois mon émoi versée, toujours agenouillé, je relève la tête et constate que vous avez mystérieusement disparu. Mais aussitôt je reconnais vos traits transposés dans les éclats de lumière de la rosace, radieux, glorieux, pleins de magnificence.

Et je demeure là, confondu, émerveillé, seul dans l'immense cathédrale face à votre regard incrusté dans le vitrail de la rosace, oeil unique dans lequel je vous vois tout entière et qui semble scruter pour l'éternité mon âme éperdue d'amour.

175 - Le soufre de l'amour

Je suis la pluie, le vent, la poussière des chemins et le chant des étoiles. J’imagine ta main passant sur ma joue. Je vois d’ici tes épaules nues. Je vois surtout la brise agitant tes mèches blondes, et ton front qui s'allume. Je vois encore tes lèvres pâles... Je suis le ciel, tu es la lumière. Je suis le cierge, tu es la flamme.

Je suis l’ange, tu es le diable.

Je t’aime Sandrine, inaccessible créature, lointaine toulousaine, invisible présence. Je t’aime cher souvenir, mauvaise amante, ange cruel, fiancée infidèle. J’aime tes yeux farouches et beaux, tes cheveux couleur de sable, ta peau comme la lumière, ta bouche de menteuse, ton corps désirable, tes ailes maudites.

Oui je t’aime, mon bel oiseau de malheur.

176 - La fleur et le sang

Je ne suis pour toi qu'un astre obscur et vaguement importun qui passe dans ta vie. Tu voudrais que je t'oublie. Je ne parviens cependant pas à tirer un trait sur ton visage, sur tes sourires doux et pénétrants, sur tes yeux grands ouverts qui savaient si bien m'enchanter.

Laisse-moi au moins la liberté de t'aimer selon mon évangile Sandrine. Car enfin, je t'aime comme un trouvère, comme un diable, comme un mort. Je te chante un amour dolent, vain et macabre. Dolent parce que je suis un malade de la cause. Vain pour la raison que c'est encore plus beau ainsi. Et macabre pour mieux en rire. C'est donc un amour qui vaut.

Je rêve de tes lèvres refermées sur mes lèvres. Notre baiser, comme un voile pudique aux yeux du monde, dissimulerait de ténébreuses et moites étreintes. Nos lèvres unies par un pacte implicite et furieux se chercheraient querelle. Je boirais ton haleine Sandrine. Je plongerais mon souffle jusqu'au fond de ce puits de fièvre et de soupirs pour mieux me rafraîchir d'amour, me brûler de désir. Nos baisers échangés seraient le miel et le fiel tout à la fois de cet hyménée sauvage et barbare.

Je t'aime Sandrine ma belle souffrance, mon cher blasphème. Tu es mon étoile cruelle. Je brûle pour toi, pour tes lèvres que tu ne m'as jamais offertes, pour tes yeux d'hier, pour ta haine d'aujourd'hui, pour tes larmes futures, pour ton éclat lointain, pour ce poignard imaginaire dans ta main assassine, pour ton coeur sans fruit, pour ton chagrin versé au nom de rien. Je t'aime pour tes crachats sur mon visage, pour tes sourires devinés au téléphone. Je t'aime pour ton corps livré aux flammes du plaisir. Je t'aime pour les mots de vipère que tu ne dis pas mais que tu penses.

Je baise ta main traîtresse, ton pied perfide, tes lèvres venimeuses, mais aussi ton front couronné d'épines, ton coeur crevé, ta joue salée. Je baise le caillou perdu, la pierre jetée, l'étoile filante que tu es, et la Lune méchante que tu seras.

177 - En attendant la Ricaneuse

L’existence est brève, ne méprisons pas les jouissances qui mettent tant de joie dans nos cœurs de mortels. Jouissons ma mie, jouissons sans entrave des plaisirs qui s’offrent à notre belle jeunesse. Goûtons aux vins rares, festoyons sans entrave, chantons, dansons sous tous prétextes ! Mais n’oublions pas cependant que l’amour est la plus exquise des ivresses.

Aussi je vous invite, ma bien-aimée, à m’imiter dans cette quête urgente de l’amour. Le jour où votre front sera chargé de rides, ma pauvre, si vous n’aimez pas aujourd’hui, avec quelle amertume il vous faudra passer la grande Porte ! Croyez-moi, pour bien mourir il faut avoir bien aimé.

Quel plus magistral soufflet flanqué à la face de la mort que sont les joies issues de l’amour ? Même si elles nous semblent éphémères, les semences de l'âme se propageront dans l'Eternité. Plantées sur Terre, elles perceront la tombe pour éclore au Ciel. L’amour est inépuisable, et survit à la mort des êtres de chair que nous sommes.

Buvons chaque jour à petites gorgées le vin insidieux de l’amour, buvons jusqu’à l’enchantement, jusqu’aux larmes s’il le faut, car l’amour est aussi un poison terrible et exquis. Il est non seulement la source de nos chagrins les plus chers, mais encore leur baume.

Osez les mots qui font oublier le mal de vivre, les dimanches de pluie, l’ennui de l’Homme. Je vous aime avec du sable dans une main, de l'or dans l'autre, de l'écume au coeur. C’est l’amour comme un cheval fou, l’amour au galop. Entrons dans le tourbillon la rage au ventre, les cheveux au vent.

178 - Lettre à un fantôme

Ce soir ton visage est loin de moi. Je n’ai plus revu tes yeux depuis onze mois et cinq jours. Je garde en mémoire ton sourire dédié à je ne sais quel mystère, là-bas à la station Denfert-Rochereau. Tu es partie comme une ombre. Je ne t’ai plus revue. Plus jamais.

Tu es belle à mes yeux parce que tu es absente Sandrine. Tu as le charme des terres lointaines. Ton nom c’est pour moi comme l’appel du large. Un coin de mon âme est sensible à ses sonorités. Tes yeux laissés à Paris, alors que coulent les jours, les semaines, les mois, et bientôt l’an, sont une invitation aux étoiles. Ils brillent dans ma mémoire, non comme des rubis, mais comme des yeux de fille. Un regard de femme, humain, charnel, tangible.

C’est l’éclat vivant des astres qui brûlent. Je ne crois pas aux diamants inventés, je crois seulement aux visages humains, aux traits de femme, à tes yeux Sandrine. Je t’envisage donc comme un point au firmament. Parce que le ciel est une réalité depuis longtemps vérifiée : il me suffit d’allonger le bras pour m’en rapprocher. Infiniment peu, mais d’une manière infiniment vraie. Tu es loin de moi Sandrine, et tes yeux en exil ont le prix des vérités cosmiques. Je sais qu’ils me sont désormais inaccessibles.

Tu es belle parce que tes pieds touchent la terre, parce que tes yeux ne se plissent pas différemment de mes yeux face au soleil qui nous aveugle aux mêmes moments, et parce que tu t’appelles Sandrine, et que tu n’es pas là.

179 - Une brise venue du Sud

Je suis las ce soir, et mon âme éprouvée se tourne vers toi. Sois mon cierge Sandrine. Mon coeur lourd résonne jusqu’à toi, et c’est l’écho de sa solitude que tu entends. La quiète et officielle désignée est près de moi certes, mais moi je suis loin d’elle. Je suis seul comme un amant peut l’être lorsqu’il a perdu ses plus chères étoiles.

Je t’aime comme je t’ai aimée de loin dans le train de Louxor, dans les rues du Caire, dans l’avion, à la station Denfert-Rochereau… Je t’aime comme je t’ai aimée de près devant la légitime présence aux aguets, sans rien lui cacher, franc comme le soleil, droit comme une statue.

J’aime Toulouse à cause de ton nom Sandrine. Je ne connais pas cette cité que l’on dit rose, mais je connais Amiens que l’on dit triste. Et sais-tu pourquoi j’aime Amiens la grise ? Pas seulement parce que j’ai grandi dans la Somme, mais aussi et surtout parce que là-bas j’ai aimé cet autre oiseau bien nommé que tu as rencontré dans le train Louxor-Le Caire, jadis. Las ! Aujourd’hui le volatile s’est embourbé dans quelque fange et ses ailes sont devenues vaines.

Je te sais fille du Sud, soeur du mistral, enfant de la lumière et du sel : mûrie sous le soleil azuréen, enivrée des effluves marins. Je t’aime Sandrine, fleur sèche, mystère amer, belle et linéale créature, pauvre enfant aux cheveux d’or, chère affligée aux yeux clairs…

Ce soir je t’écris pour la millième fois Sandrine : écoute-moi, ne raille pas mon émoi, ne bafoue pas mes rêves, ne m’abandonne pas pour la millième fois. Et je n’ai pourtant d’yeux que pour celle qui me raille, me méprise et me maudit... Je n’ai de sentiments que pour cette fille qui m’ignore, me bafoue, m’afflige : ce soir je n’ai de coeur que pour toi Sandrine. J’aime une impossible conquête, hélas !

J’attends une pauvre étoile que j’aime et qui ne m’aime pas.

180 - La beauté d'une gargouille

Mademoiselle,

Ainsi comme vous me l'avouez, il est flatteur pour vous d’être ma muse et vous voulez que je rende un juste et mérité hommage à votre beauté absente, à la pauvreté de votre éclat, à la tristesse de votre face plus humaine qu’angélique… Eh bien soit ! Point de vaines séductions stylistiques, pas d’artifices malvenus ni de mensongers violons au bout de ma plume pour vous honorer.

Pour vous plaire, je vais donc mettre un peu de ces réalistes arabesques autour de mes propos. Si vous êtes laide, alors votre laideur est toute gothique. Telle une cathédrale ornée de gargouilles, votre séduction est dans les grimaces de votre féminité. Et c’est là que vous m'êtes aimable : avec ce voile d’ombre et de pierre sur le front. Le bleu de Chartres est dans vos pupilles, et je crois voir dans votre regard cérulescent cette Vierge affligée déjà aperçue dans quelque vitrail. Votre mystère est austère, certes. Mais c’est précisément cette humilité qui fait chanter les poètes.

Vous n'êtes pas vraiment belle Mademoiselle, mais c'est en cela que vous brillez.

161 à 170 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

161 - Des ailes dans la tête

Je me dresse contre la tyrannie des lieux communs : il est vrai que je fais l'apologie de ce qui déplaît en général dans la pensée ambiante. Je fais l'apologie du vice, du crime, de la banalité, de la médiocrité. Cela ne signifie pas que je défends ces causes paour autant. Je défends une autre cause en fait : l'indépendance de pensée.

Ne nous y trompons pas : pourquoi tant de gens de nos jours sont écologistes, anti-pédophiles, défenseurs des animaux maltraités, etc. ? Exactement pour les mêmes raisons qu'en 1933 la plupart des Allemands étaient hitlériens : par simple mimétisme de pensée et non par personnelle et individuelle conviction. Autrement dit tous ces bons sentiments n'ont strictement aucune valeur. La plupart des écologistes sont écologistes parce que la pensée ambiante l'exige. Ces mêmes gens seraient aujourd'hui des bleus acharnés ou bien rouges convaincus si la pensée ambiante était assez forte pour les entraîner dans l'une de ces voies.

C'est fondamentalement l'absence d'indépendance d'esprit que je dénonce.

162 - Le vent de l'hermétisme

Réponse faite à un écrivain qui encensait Mallarmé.

Vous semblez faire l'apologie de l'hermétisme dans l'art, applaudissant sans l'ombre d'un salutaire scepticisme la plume absconse de Mallarmé, comme si l'hermétisme était un gage infaillible de talent. Vous dites : "plus que jamais l'hermétisme mallarméen s'impose à nous..."

Vous faites là le plaidoyer d'une cause fumeuse !

Du sable et de la poudre aux yeux que cet hermétisme de bon aloi, trop systématique pour être honnête. L'hermétisme dans l'art est une illusion prétentieuse, un tour de passe-passe malhonnête pour entrer dans la cour des grands avec rien d'autre qu'un vide pompeux et solennel.

Comme beaucoup, vous n'avez jamais fait la différence chez les auteurs entre le véritable souffle créateur de l'esprit, et le simple vent.

Ce souffle sacré est en moi. Et je laisse la brise inoffensive agiter les cheveux fous de ces poètes mal chaussés qui se prennent pour des héros, pour des chevaliers de l'esprit parce qu'ils ont hué les bourgeois un jour dans leurs vers.

Le jour où vous chanterez les petits bourgeois provinciaux, les épiciers, les fonctionnaires et les comptables, le jour où vous raillerez les temples les plus sacrés de la poésie, ce jour-là vous serez un authentique poète.

A bas Rimbaud, vive mon plombier !

163 - Les enfants : nos pires ennemis

Sachez que les enfants sont des monstres par nature vicieux, insolents, bêtes et méchants. Ce sont des infirmes de l'âme : chez eux le démon a une facile, fatale et funeste emprise. Le larcin, le mensonge, l'impureté, le désordre leurs sont choses naturelles, coutumières. Il convient donc de châtier très durement les moindres écarts de la gent puérile.

Par exemple vous n'omettrez point, vous les parents sévères mais justes, de mettre au goût du jour chez vos enfants les corrections corporelles les plus austères, et ce dès leur plus jeune âge. En effet, il faut habituer très tôt les enfants à la souffrance physique. C'est une excellente méthode éducative.

Ainsi vous éviterez de laisser se développer leur goût naturel pour la mollesse, le vice, la gourmandise, la luxure. Et vous tuerez dans l'oeuf toute tentative d'extériorisation de tendresse. Faut-il vous rappeler que le désir de tendresse chez les enfants est l'expression de leur faiblesse, de leur débilité physique et psychologique ? Le désir de tendresse chez les enfants est un désir évidemment très puéril, donc stérile, imparfait. C'est avant tout l'aveu de leur grande immaturité.

Aussi, je vous le dis : méfiez-vous par-dessus tout des enfants. Si vous commencez à les choyer, ils finiront tôt ou tard par vous perdre. Apprenez-leur dès leur plus jeune âge le goût amer de la badine, et vous en ferez de parfaits citoyens, de dignes fils de Dieu, d'irréprochables chrétiens.

164 - Le paradoxe de l'oeuf et la poule : la solution

Pour répondre à une question évoquée en d'autres lieux, sachez que l'oeuf (autant que la poule) est apparu de manière spontanée. L'on appelait cela au dix-neuvième siècle "LA GENERATION SPONTANEE". L'oeuf et la poule sont deux fruits vivants issus d'un même miracle nommé "MAGIE".

La magie explique beaucoup de choses en bien des domaines. De plus elle a l'immense avantage de ne pas nous obliger à nous poser des questions trop embarrassantes, voire insolubles. N'avez-vous donc jamais entendu parler des alchimistes, des astrologues, des sorcières, des guérisseurs, des diseuses de bonne aventure, des charlatans même ?

Ces gens-là savaient vous donner des explications avec beaucoup de sérieux et à grand renfort de chapeaux pointus parfois, moyennant quelques humbles piécettes en or. Avant Newton, avant Galilée, avant Darwin, on croyait à la science héritée des certitudes millénaires. Sur le plan des connaissances tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes en ces temps bénis : il y avait les érudits, jaloux de leur savoir, et les ignares, admiratifs devant ces mages détenteurs de la Vérité.

Parmi ces ignares, certains étaient prêts à se délester d'une partie de leurs richesses pour en connaître davantage auprès des magiciens sur les mystères de la génération spontanée ou de l'attraction universelle exercée par les génies invisibles.

Génération spontanée, soleil tournant autour d'une galette terrestre et non d'un globe, attraction terrestre expliquée par les génies invisibles séjournant sous le disque de la terre, etc. Il serait temps de réhabiliter quelques bonnes vérités scientifiques des temps passés...

165 - Ma fierté d'être

Vous me dites orgueilleux parce que j'ai "l'insolence" de ne pas m'effacer devant ces icônes mortes que sont tous ces auteurs que vous encensez à longueur de temps.

Ces sortes de légendes à qui vous attribuez implicitement de la valeur surtout par la seule et sotte vertu du temps qui passe (le temps semble bonifier le souvenir des morts illustres), ces idoles que vous semblez adorer de manière imbécile parce que dès l'école primaire on vous a appris à vous incliner devant des faux dieux institutionnalisés par le saint Enseignement National, ces bergers prétentieux de la cause littéraire et philosophique que vous ne suivez de toute façon pas soit par manque de coeur, de talent, de loyauté ou de constance, bref tous ces maîtres à penser et à écrire qui vous volent votre personnalité, ne sont en définitive que des morts qui, à cause de votre intime et directe complicité, usurpent votre droit à être ce que vous êtes.

Et qu'êtes-vous donc ? Je vous le dis en vérité, vous n'êtes ni plus ni moins que ces petits dieux du panthéon littéraire et philosophique que vous chantez sans cesse, parfois sans rien comprendre à leurs "paroles d'évangile" (comme par exemple certains des vers "rimbalesques"). Mais vous ne la savez pas ou ne voulez pas être reconnus comme tels, trop humbles que vous êtes pour vouloir être autre chose que des éternels petits.

Vous vous croyez beaucoup moins que ces modèles officiels de la culture classique et vous complaisez dans cette respectable et si valorisante misère de l'être, en indécents et incorrigibles modestes que vous êtes ! Vous mettez tant de fierté à n'être que les "adorateurs" de vos augustes aînés...

La société aime les gens modestes comme vous. Vous n'osez pas défier les dieux narquois (gens déifiés bien malgré eux...) de ces temples arbitraires, et la Société des gens de Lettres vous est reconnaissante de votre humilité qui assied encore plus son prestigieux mais mensonger monopole (le monopole de la prise de parole dans les salons littéraire).

Rimbaud, Pascal, Descartes, Montesquieu, rien que des noms de prestige qui vous impressionnent et que vous ne songeriez jamais à railler au nom de votre si précieuse, si chère et impénitente modestie... Mais toutes ces belles gens ont précisément prôné la légèreté, la liberté et le courage de penser par soi-même, l'humour (si salvateur !), l'esprit critique, bref la SOUVERAINE INTELLIGENCE, celle qui vous fait tellement défaut ici !

Est-ce mon extraordinaire assurance qui vous irrite tant, ou bien simplement mon incommensurable et si inattendu bon sens ? Vous, vous n'êtes sûrs que d'une chose : de votre moindre valeur, de votre statut de moutons, de suiveurs, d'adorateurs, de serfs...

Les vrais seigneurs de ce monde ne sont pas les gens dénués de digne assurance, de virile certitude, d'indispensable fierté comme vous, mais ceux qui, comme moi, savent tenir tête aux héros. Et cela au nom de rien d'autre que de leur inaliénable, incorruptible et définitive fierté d'être ce qu'ils sont. Nulle lumière de l'esprit, si prestigieuse soit-elle, ne m’empêchera de briller comme l'étoile que je suis.

Sachons rendre un juste hommage à tous ces empereurs de la Pensée et des Arts qui nous ont précédés, certes. Mais César, parce qu'il est César, ne pourra cependant jamais m'empêcher d'être ce que je suis. Ni de me faire de l'ombre. Une pyramide, si haute, si colossale, si durable soit-elle, n'a pas la vertu de rendre moins glorieux un astre.

Je suis cet astre. Demeurez ces ternes personnalités si vous le souhaitez, mais de grâce, laissez-moi m'enivrer de mon propre éclat.

166 - Les gueux et le noble

Détracteurs, détractrices,

Auriez-vous préféré que je sois lisse, plat, fade, gentil et mollement aimable avec vous tous, à la manière des mondains de la plume qui, curieusement et comme par hasard, trouvent toujours dignes d'intérêt les livres de ceux qu'ils ont en face d'eux ?

Auriez-vous préféré que je vous parle de la pluie et du beau temps littéraire en ces semblables termes que vous usez ordinairement, c'est-à-dire avec le bout de la plume, avec des précautions puériles et ennuyeuses ? Auriez-vous mieux aimé que je vous parle de mes dernières lectures, que je vous dise que tel ouvrage paru est intéressant, que tel autre est moins intéressant et que le monde littéraire va son train-train avec ses hauts et ses bas, le tout arrosé d'un inoffensif nuage de lait dans le propos ?

Le débat, vous le préférez au vitriol ou à l'eau de rose ?

J'ai déjà assassiné le "Bateau Ivre" de Monsieur Rimbaud en cette société si peu choisie. J'ai encore fustigé cet imbécile de Beaumarchais avec son "Figaro". J'ai également dénigré quelques éminents érudits détenteurs d'un savoir encyclopédique et hermétique. J'ai ridiculisé les poètes, encensé les bourgeois, fait l'éloge de la richesse, de ma particule, du vice et du crime. De ces charmants sacrilèges j'attendais quelques beaux duels, des salves de haute volée, de martiaux coups de plume, terribles, historiques.

Je n'ai récolté que des bêlements, des aboiements et des beuglements. Voire des cancans.

Mais rien qui ressemble encore à quelque chose de "littéraire". C'est que faire la basse-cour est chose aisée pour de communs volatiles dénués de panache, tandis qu'atteindre les nues est une bien plus difficile affaire. Entre la plume du dindon et celle de la noble créature de Léda, il y a tout un monde.

Que fais-je donc dans ce poulailler ? Continuez à caqueter tous sur mon compte. Je me réserve pour moi le chant final du cygne.

167 - Ma très haute piété

Réponse faite à un Témoin de Jéhovah prosélyte.

A vrai dire je me fiche un peu de savoir ce que c'est que, par exemple, la Sainte-Trinité : ce sujet à la réponse insoluble n'offre aucun intérêt pour une âme aussi légère et frivole que la mienne. Mes préoccupations sont moins poussiéreuses que ces vanités toutes théologiques, glacées et sévères.

D'ailleurs je crois me souvenir que les Témoins de Jéhovah ne reconnaissent pas la Sainte-Trinité, ce qui est déjà un signe de grande hérésie. Je me fiche en effet de savoir ce qu'est exactement la Sainte-Trinité, en revanche je sais qu'il faut y croire dur comme fer pour être reçu dans les salons du Vatican et y déguster des petits fours. C'est ce qui me préoccupe le plus en définitive : faire bonne figure aux yeux de mes pairs.

C'est ça finalement la religion : juste une affaire de dogmes. Personnellement j'ai pris le parti des dogmes mondains, plutôt que ceux de l'austérité, de la chasteté et de l'économie de plaisirs. En bon sybarite que je suis, je vous invite d'ailleurs à m'imiter dans cette démarche essentiellement esthétisante. Les plaisirs usés à bon escient, sans excès mais sans culpabilité non plus, rendent le coeur de l'homme moins sec, les pensés plus humaines, à l'image de la musique qui adoucit les moeurs.

Les religions nous conseillent de ne pas user des plaisirs, mais que nous promettent-elles finalement ? Rien que des plaisirs éternels. Chez les musulmans les justes pourront même forniquer tout leur saoul avec des vierges destinées à cet effet. Dans leur paradis la satisfaction la plus primaire des sens est promise... Dans leur paradis encore, et dans le nôtre aussi il me semble, coulent ces fameuses rivières de lait et de miel.

Sur cette Terre je ne fais finalement qu'annoncer le paradis à travers mes exemples apparemment impies.

168 - Le salut de l'esprit par l'artifice

Je prône des valeurs artificielles, fabriquées de toutes pièces par la culture. Ce qui est issu de ce genre de pure culture est éminemment raffiné, élevé, sophistiqué : un signe de grande civilisation en fait. Seuls les sauvages sont proches de la terre. Les êtres évolués sur le plan culturel comme les aristocrates, les snobs, les mondains et autres piliers de salons vivent dans un monde d'artifice. L'artifice est le propre des gens évolués, lesquels sont détachés des préoccupations domestiques et blasés de tout avec élégance.

Je me réclame de cette civilisation superficielle, artificielle et surfaite.

169 - De la poussière pour atteindre le Ciel

Mademoiselle,

Je vous ai aimée dans la clarté sereine d'un humble vitrail d'église.

A l'heure où je vous écris, à peine sorti de cette église, je me sens intimement uni à vous, illuminé par le souvenir de cette pauvre clarté. Je vous ai rejointe dans les hauteurs pures de l'âme en éveil, là où s'exprime l'amour plein d'éclat. Laissez-moi vous raconter...

J'étais seul dans cette église triste, assis sur un banc, attentif au jeu étrange de la poussière dans un soudain rai de lumière. C'était le croisement de deux mondes. La lumière d'en haut descendue à la rencontre de la poussière issue de la terre pour former ce brouillard ne matérialise-t-elle pas l'esprit vivant, l'âme mouvante ?

Comment de simples particules de poussières dans un rayon de soleil dévié par un vitrail anodin pouvaient-elles remettre en question tant de certitudes terrestres, faire bouger des montagnes d'habitudes matérialistes ? Ces choses apparemment insignifiantes me remuaient profondément cependant. Pas un bruit ne se faisait entendre dans l'église.

Le calme était solennel, la fraîcheur apaisante. Dehors les feux de l'astre accablaient la petite cité. De loin en loin j'entendais le passage des voitures sur la route, comme si elles n'étaient plus que de vagues intruses. Puis je ne les entendis plus. Elles ne faisaient plus partie de mon monde : j'étais déjà loin.

Alors, toujours assis sur le banc, imperceptiblement mon visage s'est retrouvé baigné dans ce bain de poussière et de clarté. Les particules tourbillonnaient autour de ma tête comme des étincelles argentées. Je me suis senti soudain emporté, corps et âme, en direction du rayon de lumière devenu irradiant. Et, perdant subitement tous repères, j'ignorais si j'étais encore dans l'église. Les particules de poussière se transformèrent peu à peu en des feux plus consistants, ralentirent leurs mouvements fébriles, s'éloignèrent les unes des autres, et je m'aperçus bientôt que je baignais dans une pluie d'étoile...

Je me retrouvai au coeur du cosmos.

Un silence majestueux régnait dans l'espace. Les étoiles étaient d'une beauté inouïe, elles brillaient d'un éclat inédit. Chacune d'elles formait un point éclatant d'une extrême pureté sur le fond noir, infini du ciel. Une paix immense m'envahit. Puis, venue du fond de ce ciel magnifique, une lueur se forma.

Elle apparut, d'abord floue, puis de plus en plus limpide, légèrement bleutée. Lentement, elle se mut en ma direction. Elle s'approchait. Et plus elle s'approchait, plus je sentais la fusion imminente entre cette lumière et moi. Et plus je sentais cette fusion sur le point de s'opérer comme une nécessité, une vérité, plus je vous reconnaissais à travers cette lumière.

Nous nous fondîmes l'un dans l'autre.

La rencontre fut foudroyante, éblouissante, cosmique. Divine. Nous accédâmes à la Vérité suprême en un éclair. Et chacun de nous vit dans l'autre le reflet de l'Eternité.

Je me suis réveillé sur le banc de l'église. M'étais-je évanoui, endormi ? Avais-je rêvé ? Je sortis de l'église, songeur, pour me retrouver sous un soleil aveuglant. Et je m'en allai.

J'ignore si j'ai rêvé ou non, mais il y a une chose que nul n'expliquera jamais : juste avant que je ne reparte, dans l'église la poussière est retombée. Et, bien que la disposition des choses dans ces lieux sombres rende impossible une telle probabilité à quelque heure et à quelque saison que ce soit, le rayon de lumière issu du vitrail est pourtant venu jusqu'au fond de l'église frapper la tête du Christ en bois.

170 - Un défi christique

Lettre envoyée à un jeune prêtre catholique.

Mon Père,

Les dignitaires de notre Église bien-aimée se devant de montrer l'exemple à leurs ouailles, nous en convenons tous, une idée m'est venue : si nous leurs faisions passer un examen ? Une sorte d'épreuve grandeur nature à l'image de leur concret engagement sur le terrain, parmi les hommes. Au nom de la cause pie, quasiment céleste que ces hautes gens défendent, je ne doute pas que ma proposition sera accueillie avec chrétienne allégresse. Je présage que celle-ci remportera un réel succès auprès de ces membres choisis du clergé, habituellement si prompts à donner corps à leur publique piété.

Une si éloquente mise à l'épreuve ne peut se refuser. Comment douter de la valeur des éminences de l'Église ? Et qu'elles s'abstiennent pour une fois de faire les humbles : l'occasion leur est donnée de nous montrer le prix qu'elles mettent à leur cher sacerdoce.

Venons-en au fait. Ne serait-il pas séant que vous demandiez à un évêque de piétiner en public, et avec coeur, ses plus irréductibles attributs (mitre et crosse), au nom du fait que l'attribut n'est point l'essence, que l'essence vaut encore mieux que l'attribut, et que sans cette éclatante initiative aucun évêque ne saurait être crédible (le piétinement d'objets d'apparat équivalant à un glorieux renoncement des convenances ecclésiastiques) ?

Je m'explique.

Le sacrifice est un geste d’élévation, il est pur altruisme. L'amour qui se désiste dès le moindre sacrifice ne vaut guère. Gratuit, irrationnel l'amour est cependant exigeant, c’est ce qui fait son infinie valeur. Il faut concrètement mettre un prix aux choses, ne pas hésiter à mettre en pratique certains principes, exalter la portée de l’acte. C'est le principe que je défends au sujet de la mitre et de la crosse. Il ne serait pas mauvais de les faire piétiner en public par l'évêque en personne, de temps à autre, aux fêtes de Noël ou de Pâques, par exemple. Il s'agit surtout de montrer aux fidèles, qui ont toujours tendance à s'égarer, que l'essentiel n'est pas dans le sceptre du roi mais dans le coeur des hommes.

Autrement dit s'il fallait qu'entre ces deux intérêts, attribut et essence, l'un fût à sacrifier pour le salut de l'autre, ne verrait-on pas triompher la cause dictée par le choix le plus congru ?

Rien de trivial dans cette affaire, juste une banale épreuve que je ne craindrai pas de qualifier de biblique. Les évêques que je tiens pour de saintes conceptions théoriques n'en sont pas moins pécheurs en réalité, mais surtout hommes perfectibles, au même titre que n'importe quel quidam de cette Terre. Et sous leur pied vaillant au service de la vérité prendraient tout leur sens les paroles quasi christiques du Petit Prince : "L'essentiel est invisible pour les yeux."

Mon dessein n'est pas autre que de vérifier l'aptitude et la promptitude des évêques à piétiner publiquement mitres et crosses. Autrement dit, de vérifier la profondeur de leur piété, la grandeur de leur âme, le poids de leur vocation.

J’espère de tout cœur que ma proposition sera prise au pied de la lettre, que sous mon impulsion l'exemple tombera d'en haut. Soyez témoin mon Père de mon sincère, pieux empressement de voir foulées mitres et crosses par le talon de leurs légitimes porteurs.

151 à 160 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

151 - Deuil

Aujourd'hui est un grand jour. Raphaël est mort. Il est là, étendu dans son linceul morbide composé de draps douteux, les yeux clos, les traits pacifiés, les mains crispées, les cheveux sales. C'est un cadavre un peu bizarre. Il est mort après bien des souffrances. Il s'est débattu jusqu'au dernier souffle contre tous ses démons réels et imaginaires. Et il pue déjà, ce cadavre contorsionné !

On va inhumer cette dérangeante dépouille. Mais avant on va la contempler. Se repaître du spectacle morbide, pathétique de ses contorsions figées dans la glace de la Mort. C'est toujours fascinant à voir un macchabée : ça nous renvoie en pleine figure l'image de notre état de futur macchabée.

Sa peau a pris le teint blafard caractéristique de la mort. Il faut se rendre à l'évidence, il est bel et bien mort le bouffon. La Mort a fini par lui clouer le bec. Définitivement.

Regardez-le comme il fait piètre figure à présent qu'il est passé de l'autre côté... Finies les fanfaronnades, finies les hâbleries, les grosses farces, les bravades, les joyeuses railleries... Il est mort le bouffon. Bel et bien mort. Maintenant c'est lui qu'on plaint. Il fait pitié à voir en cadavre échevelé, déguenillé, tordu comme un pantin brisé. Pas très joli à regarder. Il n'aura pas eu le dernier mot cette fois : il avait la Camarde pour détractrice.

Maintenant on va le mettre en terre. La cérémonie est vite expédiée. Ca y est, sa dépouille est dans les entrailles de la terre.

On va pouvoir continuer à se lancer en paix des fleurs et des roses guimauves à la figure. Parler entre nous de tout et de rien, de la météo ou de Tartempion... Mais plus de ce diable d'Izarra !

Sans lui on va peut-être s'ennuyer. Quand même, il risque de nous manquer le bougre... Allez, adieu Raphaël. On t'aimait bien tu sais... Tu es parti rejoindre tes chères étoiles, alors bon voyage dans ton éternité.

Adieu et bon débarras !

152 - La grâce vaut mieux que le mérite

En dépit des faits intégrés, admis et universellement applaudis de la Révolution ainsi que du caractère de plus en plus impopulaire et irréaliste de mes points de vue sur les choses et les hommes de ce monde, ma sensibilité de chevalier me pousse à demeurer très attaché à l'appropriation par l'élite aristocratique de la culture, des connaissances, de la science.

Je suis pour le non-partage de ces richesses immatérielles avec la masse. Transporter des cours universitaires jusque dans les bidonvilles pour instruire des illettrés est un non-sens, une mesure faussement humaniste. L'on voudrait donc donner accès aux études à n'importe qui, à des gueux, à des manuels ? Le rôle de ces exclus de la culture est de faire valoir la générosité des chevaliers de mon espèce caracolant sur leurs beaux chevaux blancs.

Les prolétaires sont faits pour être pris en pitié par les âmes nobles qui leur font de temps à autre l'aumône avec condescendance. Là est le véritable humaniste. Je ne suis pas spécialement pour la "méritocratie" mais pour "l'état de grâce".

Le mérite a ses limites. Celui qui par son travail, son courage et ses vertus accède à certaines richesses et à certaines palmes se hisse injustement, si on pousse jusqu'au bout de sa logique ce système, au-dessus des autres prétendants au bonheur, au confort, à la justice. Et de quel droit celui qui est né plus talentueux, plus courageux, plus vertueux que les autres s'accaparerait-il les richesses de ce monde ? Les bandits, les idiots, les paresseux ont aussi un droit de jouissance inné sur les biens de cette Terre. Ne sont-ce point des êtres humains comme tous les autres ? A ce titre ce droit leur est acquis.

La grâce élit des têtes sans distinction de classe ou de mérite. C'est un principe divin, gratuit, poétique et donc infiniment juste et beau. C'est précisément l'esprit des chevaliers.

153 - Les poètes du vent

De nos jours l'art poétique s'est démocratisé en bassesse et incompétence. Et, se répandant dans toutes les sphères du possible (de la plus inepte à la plus insane, de la plus populaire à la moins honnête, de la plus minuscule à la plus infâme), la poésie est devenue prétentieuse, soporifique, creuse.

Et pour lui donner plus de poids, un cachet, bref pour faire impression sur les imbéciles, on la fait comiquement hermétique. Là où je ris, d'autres s'extasient. Ou feignent de s'extasier. A moins qu'ils ne croient vraiment à la valeur de ce qu'ils lisent, dupés par l'imposture du verbe mis en vers sous les plus ridicules prétextes.

Ici on chante le ciel bleu et les oiseaux, mais on les chante dans un langage parfaitement abscons. Là on peint l'imaginaire "émoi cosmique" issu de la cervelle la plus ordinaire qui soit, et c'est grotesque, pitoyable.

Ainsi l'art poétique a été si dévalué qu'un simple, inoffensif ciel bleu devient chez le poète une affaire d'état ou un enjeu phraséologique aux conséquences infinies... Ou bien la plus insignifiante des humeurs tourne, sous la plume d'immatures auteurs, au raz-de-marée verbeux.

Nul ne sait plus discerner l'art véritable des simples gammes que fait sur son piano l'élève qui a encore tout à apprendre de la musique. Un quidam improvise selon son intuition maladroite sur le clavier : il en sort du bruit et les ânes applaudissent... Ils n'entendent eux-mêmes rien à la musique mais ils applaudissent quand même, trop heureux de pouvoir ajouter du bruit au bruit, histoire de s'exprimer eux aussi, à leur manière, dans cette cacophonie générale.

Chacun s'exprime avec ce qu'il possède : pour certains ce sera avec le vide, pour d'autres ce sera en tapant des mains. Remarquons que les premiers offrent un écho aux seconds, sachant que le vide fera toujours résonner le moindre son.

Surtout lorsqu'il émane de cloches.

154 - Un directeur d'institution bien naïf

Madame,

J'ai pris connaissance avec un grand mécontentement de votre lettre. Ainsi vous prétendez que les jeunes filles de cette digne institution religieuse que j'ai l'honneur de diriger s'adonnent à la luxure la plus éhontée ? Vos affirmations choquent la morale, Madame. Vous vous faites ici l'écho de rumeurs parfaitement infondées, de ragots infâmes sans doute diffusés par les ennemis de la religion.

Comment avez-vous osé m'écrire de telles choses, vous qui êtes pourtant une ancienne pensionnaire de cette institution ? Est-ce donc là le résultat de la saine éducation prodiguée aux jeunes filles de bonnes familles entre ces murs choisis ? Vous corrompez l'éducation honnête que l'on vous a donnée en ces lieux Madame.

Vous ne faites pas honneur à vos précepteurs Madame, en prétendant avec autant d'impudence que derrière les murs de cette institution nos Demoiselles se livrent à un commerce immoral avec des débauchés... Vous faites preuve d'une bien grande effronterie pour oser affirmer avoir vécu de telles turpitudes au temps où vous étiez chez nous, et jamais l'on a vu chez nos sages et vertueuses Demoiselles semblable impertinence, ni pareille démesure dans la licence, ni telle outrance dans le langage !

Aucune jeune fille bien élevée ne songe, sachez-le bien Madame, à des choses aussi horribles, aussi répugnantes et aussi impies que ces chimères libidineuses que vous avez évoquées. Et s'il en est quelques-unes qui évoquent de temps à autre quelque galant jeune homme ou bien tel Monsieur entr'aperçu et qui avaient une belle prestance, croyez bien Madame que c'est toujours en termes honnêtes. Jamais les propos entendus ne dépassent les limites bienséantes du coeur, et les pensées elles-mêmes, pourtant secrètes, ne vont pas au-delà, j'en suis persuadé, du discours public et platonique.

Lorsqu'une de ces honnêtes Demoiselles dont j'ai la charge s'émeut vivement au nom de tel ou tel visiteur étranger de l'institution, c'est soit à cause de sa belle toilette (à entendre certaines), soit c'est au nom de l'épée qu'il porte au côté. Curieusement ces épées sont très souvent un vif sujet d'émoi chez nos jeunes filles. Simple lubie juvénile, bien innocente ma foi.

Bref, soyez certaine Madame qu'aucune de ces Demoiselles ne songe à mal en ces circonstances. Mes élèves me sourient de manière bien innocente, lorsqu'elles me parlent de l'épée de tel ou tel visiteur, et je les laisse toujours aller s'ébaudir ensemble comme des enfants derrière les murs de notre chapelle, ne leur interdisant même pas de prendre la main à ces visiteurs impromptus, tant ma confiance en leurs vertus est grande. Ces étrangers de l'institution sont devenus des habitués d'ailleurs (je les connais bien à force de les voir, et ils sont plus amis qu'étrangers, comment pourrais-je les soupçonner ?).

De leurs chastes divertissements, ces Demoiselles me reviennent chaque fois apaisées, sereines, comme épanouies. Cela m'inspire d'ailleurs les meilleures certitudes quant à leur avenir conjugal. Ce seront des épouses honnêtes et ignorantes au jour de leur légitime hyménée car bien accompagnées aujourd'hui.

Avec quelle charmante naïveté elles évoquent les épées de ces Messieurs ! Elles me racontent qu'elles n'ont de cesse de les toucher, de les caresser (il faut dire que certaines sont ouvragées avec art), voire même de les baiser... C'est à rire de bon coeur tant c'est frais, touchant, charmant ! Je crois bien que toutes les jeunes filles de l'institution ont déjà goûté aux épées de ces prestes moustachus galonnés. Comment pouvez-vous donc raconter qu'il se passe chez nous toutes ces horreurs en rapport avec la chair ? Cela ne se peut, Madame.

Cela est vraiment touchant de voir à la fin de la récréation vespérale ces Demoiselles revenir de derrière les murs de la chapelle, où je les laisse jouir un peu de leur liberté, si restreinte le reste du temps (pensez donc, ce sont des pensionnaires cloîtrées toute l'année à l'institution)... Elles me reviennent à chaque fois les yeux ravis, le sourire aux lèvres et les habits biens mis, consciencieusement réajustés et... Et ma foi c'est curieux à vrai dire... A présent que j'y songe...

Certaines ont des brins d'herbes dans la coiffe, d'autres des mèches folles qui sortent du chignon et presque toutes ont l'haleine singulière... Mais suis-je bête !

Tous ces signes, ces symptômes ne peuvent tromper : c'est la preuve qu'elles ont joué à colin-maillard ou à je ne sais quel autre jeu d'enfant, et que prises dans ces espiègleries, ces farandoles et tourbillons qui siéent à leur jeunesse, elles n'ont point vu la racine malencontreuse ni pris garde à la pomme trop mûre cueillie à la hâte, dans la fougue de leur âge (il pousse nombre d'arbres fruitiers derrière la chapelle de l'institution), gâtant ainsi leur fraîche haleine... Omettant se s'essuyer après avoir croqué le fruit et l'avoir savouré en toute innocence, leur haleine exhale naturellement quelque effluve superflu.

Enfin bref, l'important est que ces galants visiteurs qui rendent parfois visite à nos jeunes filles leurs changent les idées avec leur épée (ces jeunes filles ont vraiment d'étranges centres d'intérêt, j'en conviens, mais c'est là un mystère que je ne suis pas encore parvenu à percer chez elles).

Maintenant n'allez plus m'inventer, Madame, d'odieuses considérations. A la lumière de ce que je vous ai relaté, constatez que les évocations libidineuses sont étrangères de mes élèves et qu'elles sont vôtres uniquement, parce que votre âme est perturbée, parce que votre chair a des penchants contre-nature, et parce que le péché semble vous plaire, Madame.

Adieu Madame, et laissez-moi me consacrer à l'éducation des jeunes filles que m'ont confiées les meilleures familles du pays. Je suis trop lucide pour ne discerner que piété, pureté et jolies pensées dans le regard de ces Demoiselles.

Tout le reste, ce sont vos vues mensongères Madame. Ce sont vos vices, et rien que vos vices.

155 - Un cadeau pour la Camarde

Madame la Mort aux beaux yeux noirs m'a prêté sa faux, sa belle faux sonore qui crisse quand elle tranche. Avec cet instrument jardinier magistral, j'ai eu l'idée de raser les herbes folles qui s'élèvent hardiment de mes terres : ronces des concessions, chaînes du quotidien, épines du prosaïsme, vanité du paraître. Je dois couper tout cela. Rien ne doit dépasser ma cheville.

Il faut que je sois le maître chez moi. Il me faut soumettre à ma loi la flore que je foule. Du matin au soir, tout doit donner l'impression que je domine. Sous le poids inconsidéré de mon ombre qui passe, la tige pimpante ploie jusque dans la poussière. Si elle a l'audace, la folle, d'ériger la tête, impitoyablement je la lui ôte.

Madame la Mort m'a prêté sa belle faux qui crisse, et j'ai mis un peu d'ordre sur mes terres. Toute la sainte journée mon bras a fait sa besogne. Arpentant des heures durant les étendues de mon domaine, j'ai amassé l'herbe rebelle vaincue par le fer justicier. De ce foin de géhenne j'ai fait une meule. Puis j'ai engrangé.

Et le jour ou légitimement Madame la Mort est venue reprendre son outil, me demandant au passage de prendre ma vie, au lieu de lui remettre cette dernière, trop chère à mes yeux, je lui ai fait don de mon ivraie. J'ai côtoyé la grande Dame et me suis montré plus rusé qu'elle : je l'ai regardé repartir croulant sous le poids de mon offrande.

Depuis ce jour Madame la Mort aux yeux si noirs, si profonds ne m'a jamais plus importuné. Je ne songe plus aux ronces : emportées par la Faucheuse ! Exorcisées !

Voilà pourquoi aujourd'hui je suis encore de ce monde, plus vivant que jamais, le coeur léger. Plus fort que la mort, plus fort que les rêves qui se brisent contre la dureté du quotidien, c'est l'amour que je porte aux étoiles.

156 - On m'a reproché d'avoir dit "Nègre"

Un détracteur, sans doute pétri d'un humanisme bien sirupeux, m'avait reproché d'avoir employé le terme "Nègre" pour désigner un Africain à peau noire, et voici ce que je lui ai répondu :

Sachez, inconséquent Monsieur, que la négritude n'est point une déchéance. Il n'est pas offensant d'user de ce terme pour désigner mon semblable descendant de Cham. L'espèce nègre est une espèce noble, comme toutes les espèces humaines. Auriez-vous mieux aimé que j'emploie le terme "black" pour faire jeune, pour faire moderne, et être en même temps lisse, docile, bovin dans l'esprit ?

Je ne saurais succomber aux phénomènes très à la mode de "gentillesses" faussement respectueuses, comme ces mots qui édulcorent les Nègres et les éclaircissent, pour en faire des presque Blancs (voyez Mickaël Jackson, il a pris au pied de la lettre cette manie d'édulcorer, de "dénoircir" les Nègres, et c'est grotesque, pitoyable - mais il est libre de se faire blanchir le visage si cela l'amuse, je ne vais pas lui interdire de dépenser comme il l'entend ses millions de dollars).

Quant aux nains, que croyez-vous donc qu'ils sont ? Des Gulliver, des sportifs de haut niveau, des champions de hockey sur glace, des basketteurs professionnels ? Et les vieux moribonds, que sont-ils pour vous ? Des nouveau-nés pleins de santé et qui ont la vie entière devant eux ? Allons, un peu de maturité, et de bon sens ! Ne soyons pas comme ces précieuses ridicules pleines d'une affligeante sensiblerie citadine et séniles avant l'âge.

Un peu de virilité, que diable ! Sinon la mort et la souffrance n'existeront plus du tout, puisqu'on les désignera du bout des lèvres, du bout des doigts, et les hommes ne seront jamais adultes. On en est arrivé à emprunter des chemins tortueux pour désigner les moribonds, comme si on voulait à tout prix se voiler la face devant la réalité. "Personne en fin de vie", dit-on à leur sujet de nos jours... Alors pourquoi pas "individu ayant involontairement accédé au degré le plus élevé de forme physique défaillante" ? Et pour les Nègres, pourquoi ne pas les désigner (pour ne surtout pas parler de leur négritude, si offensante quand on la nomme de manière trop évidente...) de cette manière-là : "personnes issues des terres blacks situées dans le continent au sud de l'Europe" ?

Cessez donc, vous les pauvres anonymes, d'être des victimes du nivellement culturel mondial, ne soyez pas des produits, des robots, des singes mimant les modèles imposés. Réfléchissez, inventez, soyez créatifs, soyez riches de différences, soyez critiques, soyez libres.

Soyez des hommes.

157 - Je défie un piètre rival

Monsieur,

Je me targue, me vante, m'honore d'être un oisif, un esprit bourgeois, un hypocrite, un lâche, un profiteur. Mais je suis également un seigneur, contrairement à vous qui n'êtes qu'un vil serviteur incapable de me défier, de me toiser dignement. Vous faites partie de ce vaste et ordinaire troupeau sans coeur et sans hargne pour qui les politesses valent mieux que des coups d'épée. Je suis un Cyrano plein de morgue, de superbe, de panache et je suis toujours prêt à passer au fil de ma plume les gens banals de votre espèce qui ne savent écrire que des choses banales, mille fois entendues, et donc sans intérêt aucun pour un bel esprit digne de ce nom... Je vais vous donner une bonne leçon. Je vous prouverai que je suis ce que je prétends être : la chose la plus passionnante qui soit au monde. A mes yeux, bien entendu. Cela vous changera certainement de vos écrits nombrilistes et locaux qui ont le défaut immense de me déplaire.

158 - Un poète sans coeur

En vérité je vous le dis, dans l'existence je n'aime véritablement qu'une chose, qu'une étoile, qu'un idéal : la Poésie. Autrement dit le rêve, les humeurs pures et délicates de l'esprit, la lueur bleutée de l'amour spirituel, la beauté gelée de la mort, la beauté glacée des chastes amours, la beauté froide des esthétiques émois, et accessoirement, la laideur des femmes et le charme suranné des bossus.

Ma mie n'est après tout qu'une des réductions terrestres de mes plus pures aspirations célestes. Et, tel un cloaque clos, son hymen certes encore inviolé mais voué aux plus infâmes turpitudes de la chair, ne me rappelle finalement que les bassesses terrestres auxquelles, fondamentalement, je n'aspire pas.

L'amour charnel n'est plus une science ni un art pour moi, mais plutôt un exercice quotidien purement hygiénique, strictement alimentaire, essentiellement animal. Comme le boire et le manger : rien qu'un des plaisirs profanes qu'il nous est donné de connaître en cette vallée de larmes. C'est dire que je me suis assez vite lassé de ces espèces d'ennuyeuses formalités nuptiales... J'ai fait le tour de ma mie, et à présent je n'aspire plus à accéder aux sommets de sa chair flatteuse, mais à ceux de son esprit. Et à travers cette quête assez anecdotique des beautés de son âme, à la Poésie suprême qui siège ici et partout et que l'on nomme communément "Cosmos".

Je suis une âme presque désincarnée, un feu follet, une pierre de lune, et j'erre déjà dans les hauteurs cosmiques de l'Harmonie suprême. La Poésie m'a éloigné de mon morne chemin terrestre, et m'a davantage rapproché du divin.

J'aime oui. J'aime en égoïste, en esthète et en froideur. Et qu'aimé-je donc si impérieusement et plus chèrement que mes frères humains ?

Rien d'autre que la Lyre.

159 - Le plus grand poète doit faire dans les deux mètres

Je ne saurais concevoir la poésie comme un émoi pour élite, prétentieux, à la Chateaubriand. Je crois moins aux sentiments littéraires élevés, finalement assez loin de l'authenticité de l'homme ancré dans le quotidien, qu'aux sentiments plus courants certes moins élevés (face aux académiques panthéons d'airain) mais plus proches sur le plan humain.

N'oublions pas que la culture n'est jamais qu'un artifice de l'esprit dans une civilisation donnée et qu'elle n'a aucune valeur sur le plan spirituel. La littérature, ça n'est finalement qu'un bagage terrestre, social, horizontal. Nul besoin d'être un lettré pour être dans la vérité. La poésie de Rimbaud ou de Hugo n'a aucune valeur chez les sauvages d'Amazonie.

Ma définition de la poésie n'a rien à voir avec celle des exégètes compassés comme le furent Aragon et Cocteau, artificiels à force d'érudition, monstrueux à cause de leur distance avec la masse ignorante.

La poésie c'est selon moi, tout simplement, tout bêtement et tout "prosaïquement" une certaine pureté de l'âme. Il ne suffit pas de savoir versifier sur le plan technique pour être poète. Mais on n'est pas pour autant poète en ne sachant pas versifier.

La versification n'est que le caractère formel, temporel, académique de la poésie, elle n'a qu'une valeur strictement littéraire : c'est beau parce qu'on sait lire, écrire, qu'on a une culture livresque. Les mots mis en vers ne peuvent émouvoir que des mortels sachant lire, donc des êtres limités par leur culture, leurs oeillères académiques. Ce qui émeut les âmes de manière universelle a beaucoup plus de valeur : là est la véritable poésie.

Les étoiles, la Lune ou la forêt sauvage ont certainement remué beaucoup plus d'âmes vierges de toute pollution culturelle que tous les vers compliqués des milliers de "poètes" que la Terre a portés à travers toutes les civilisations.

Après tout le véritable poète est celui qui sait atteindre les étoiles du ciel ainsi que l'âme de son prochain. Tout le reste n'est finalement que de la forme et non du fond.

Autrement dit de la pure, stricte et vulgaire littérature.

160 - La plume et le plomb

C'est un grand péché à mes yeux que de se faire ennuyeux auprès de son lectorat. Je blâme les auteurs ennuyeux plus soucieux de se plaire à eux-mêmes ou à leurs pairs que de se montrer plaisants à leurs lecteurs. Ce qui est fort méchant. Une bonne littérature, c'est une littérature qui touche la sensibilité. Et non l'intellect.

Vaine littérature que tous ces sujets prétentieux traités avec une gravité ridicule ! Ennuyer le lectorat avec des mots comme des enclumes, quel crime ! Un auteur qui prend des airs d'universitaire pour ajouter du crédit à son texte austère, ça apportera certainement un peu plus de lustre à ses lauriers, mais pas nécessairement au texte lui-même.

Ecrire des oeuvres ennuyeuses est un exercice certes fort plaisant pour l'écrivain, surtout si, tout pénétré de son importance il se prend au sérieux comme tout coquelet digne de ce nom. Las ! Les oeuvres graves souvent sont profondément soporifiques. En général le volatile à la plume pesante est pétri d'un orgueil tout parisien, et sa crête est d'une distinction formelle. Ce qui est une grave faute de goût.

Auteurs, mettez-vous à la place de vos lecteurs, séduisez-les avec votre beau panache, non avec vos pieds. Amenez-les à votre cause tout en légèreté, fantaisie, poésie et non avec de gros marbres intellectuels. Le vrai écrivain -qui par définition est poète- doit les prendre entre ses ailes et les emporter loin du quotidien prosaïque, non les assommer à coup de pierres, fussent-elle taillées en forme de grosses gélules. Quoi de plus contre-nature que de servir des cailloux en guise de nourriture aux êtres sensibles que sont les humains ?

C'est flatter leur orgueil que de prendre les lecteurs pour ce qu'ils ne sont pas : de purs intellectuels. Les gens sont des hommes, des humains, autrement dit des êtres sensibles, des enfants souvent, avant que d'être de purs esprits épris de littérature sèche. La plupart des auteurs se complaisent dans leur fatuité étalée avec des manières solennelles sous prétexte de littérature... Ha ! Ce fameux besoin d'écrire, impérieux, essentiel que l'auteur compare volontiers à une respiration vitale du haut de son minuscule perchoir de plumitif qu'il prend pour un piédestal !

Parmi ces malades de l'ego, les plus atteints publient sans complexe chez la "Pensée Universelle". Ces auteurs-là écrivent pour faire des livres. Ils écrivent pour la poussière et non pour les étoiles. C'est ce qui différencie le vrai écrivain, chantre des mots, et le faiseur de livres, simple "remplisseur" de pages. Heureusement pour ces derniers, il se trouve des lecteurs assez sots pour les lire.

Dans ce rapport auteur-lecteurs notons qu'il ne suffit pas à l'écrivain de posséder une plume de choix, encore faut-il que ses lecteurs aient le talent de la lecture.

Bref, le talent de l'écrivain consiste à plaire, séduire, émouvoir, enchanter les coeurs comme les esprits, non à tenter de faire ployer sous le fardeau de la pensée sèche, dure, le si fragile roseau humain qui n'aspire fondamentalement qu'à rêver.