jeudi 30 octobre 2008

11 à 20 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

11 - Un poète des labours

Voici deux des lettres envoyées à Monsieur Diard, authentique paysan de son état. A travers celle-ci vous devinerez aisément à quel genre de personnage je m'adresse et vous comprendrez mieux la raison pour laquelle j'emploie ce ton si singulier avec lui.

Monsieur Diard est un ami de très longue date que je respecte pour son authenticité, sa simplicité, son bon sens, sa finesse. Il m'a inspiré l'histoire intitulée "Un rêve éveillé" (voir mes excellents textes sur ce présent site). J'assure souvent à Monsieur Diard que c'est un poète qui s'ignore. Mais je crois qu'il ne connaît pas le sens du mot "poète"... Heureuse indigence du pâtre qui donne toute sa fraîcheur, son originalité, son charme à ce véritable représentant de la chouannerie. Car Monsieur Diard est un Chouan qui vit au vingt-et-unième siècle. Dans la mentalité, l'accoutrement. Avaricieux jusqu'à l'extrême, à l'écart de toute mode, nourri à la spartiate (à base de pain douteux, de lait caillé, de fruits tombés des arbres), Monsieur Diard est un cas exceptionnel pour notre aseptisée société de consommation.

Chez lui il n'y a pas d'horaire, pas ou peu d'électricité, pas d'eau courante, pas de contrat écrit, pas de toilettes, pas de moteur, aucune machine de quelque sorte que ce soit si ce n'est une antique bicyclette rafistolée au petit bonheur la chance. Monsieur Diard ne jure que par le travail à mains nues, la grosse soupe, le pain, le feu dans la cheminée et l'eau de pluie ruisselant sur son toit, qu'il boit sans faire de manière, avec laquelle il se rase. Cette pluie parfois glaciale qui lui arrose le visage dans ses champs... L'outrance poussée jusqu'à la poésie fait tout l'attrait de cet homme. Il est âgé de 80 ans. C'est un paysan dans l'âme.

Pardon ! Un Chouan.

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Cher Monsieur Diard,

Cette lettre pour vous dire que nous allons bien et que la nouvelle année 2002 est enfin arrivée cette année. Comment allez-vous mon cher Seigneur ? Comment va votre maison ? N’est-elle pas malade ? Isabelle et moi nous attendons avec grande impatience de vous revoir, cher ami.

J’espère que vos vaches ne pondront pas d’oeufs cette année et que vos poules ne donneront pas de lait. Il vaut mieux que ça soit le contraire, n’est-ce pas ? J’espère que votre vélo n’est pas en panne d’essence. Avec le remplacement du Franc par l’Euro, on ne sait plus où on en est dans nos comptes. Heureusement qu’on a encore jusqu’au mois de février pour payer encore en Francs. Le pain de Crissé a-t-il le même goût lorsque vous le payez en Euros ?

Cette année il faudra encore élire un nouveau Président de la République comme il y a sept ans car on n’est plus au temps des bons rois de France. Allez-vous voter pour ce cher Chirac ? Si Chirac est réélu cette année, on n’aura pas un nouveau Président de la République. Ca sera le même qu’avant, alors à quoi ça sert de voter ? Ca va user encore du papier pour rien, puisque Chirac est déjà au pouvoir… Enfin c’est comme ça, on n’y peut rien.

Il pleut ici. Et par chez vous, pleut-il ? La pluie c’est quand même bien pour faire pousser des betteraves dans les champs, mais à Paris il n’y a pas beaucoup de champs de betteraves me direz-vous. C’est vrai. Mais il pleut quand même. Ca serait bien si au lieu de faire pousser rien du tout on faisait pousser des pommes de terre à Paris. On devrait remplacer les maisons et les voitures de Paris, qui je vous le rappelle est la capitale de la France, par des champs de tournesols. Ca serait beau. Et pis ça rapporterait des sous au propriétaire des tournesols. Ca serait bien si, vous Monsieur Diard, vous étiez propriétaire des tournesols qui pousseraient à Paris. Vous seriez un homme riche.

Allez, je vous dis au revoir et à bientôt Monsieur Diard. N’oubliez pas de regonfler les roues de votre vélo et de donner à manger à Mesdemoiselles vos vaches. Couvrez-vous bien et travaillez pas trop quand même.

Raphaël Zacharie de Izarra

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Très cher Monsieur Diard,

Bien le bonjour Monsieur Diard. Je vous écris cette lettre parce que nous sommes revenus de voyage, Isabelle et moi, et le temps des cartes postales est révolu. Ici en région parisienne le temps est plutôt de saison : un peu frais le matin, et encore beau, ma foi, la journée. Il n'y a pas beaucoup de vaches dans la ville, mais par contre, il faut bien l'avouer, il y a beaucoup de circulation automobile, un peu trop à mon goût d'ailleurs. Mais
enfin, c'est ainsi, on ne peut rien y faire...

J'espère que vous lirez ma lettre avec plaisir, parce que j'ai pris la peine d'acheter un timbre à mes frais. Vous allez me dire que trois malheureux petits francs, ça ne va pas chercher bien loin, mais quand même, il faut les sortir de la poche. Enfin, le principal c'est que le courrier arrive en temps et en heure.

Isabelle va bien. Moi aussi je vais bien. J'espère que vous allez bien également, comme ça tout le monde sera content d'aller bien. C'est ça je crois qui est important. Je vais peut-être aller voir les parisiens à Paris, puisque je suis à côté de Paris. A six kilomètres à vol d'oiseau pour tout dire. Mais je ne pourrais pas y aller en volant, puisque, comme tout le monde le sait, moi Raphaël Zacharie de Izarra je ne suis pas un oiseau. Je n'ai rien d'un oiseau d'ailleurs. Alors je devrais, pour y aller, prendre la route, comme tout le monde. Mais par la route la ville de Paris se trouve, non plus à six kilomètres mais à plus de dix ! Comme quoi il vaudrait mieux parfois être un oiseau plutôt qu'un automobiliste, c'est plus avantageux pour certaines choses. Mais, me direz-vous, si J'étais un oiseau et non pas un automobiliste, il ne me viendrait pas à l'idée de traverser la ville de Paris, qui est la capitale de la France, pour aller voir les parisiens...

Non, si j'étais un oiseau, je demeurerais à Colombes pour manger les miettes de pain dans la rue, lesquelles miettes de pain et rues sont nombreuses en cette ville de la banlieue parisienne. Donc, même si Paris se trouve à six kilomètres à vol d'oiseau, j'emprunterai la route sur plus de dix kilomètres pour rejoindre cette belle et grande ville de la France. Ca n'est pas marqué "pigeon" sur mon front, que je sache !

A part ça, ça va bien ici. Le matin le soleil se lève, et le soir, comme tous les soirs d'ailleurs, il se couche. Moi aussi je me lève le matin et je me couche le soir. Sauf quand je dors le matin, et que je veille la nuit. Les nuits sont faites pour dormir, et les journées pour aller et venir sous le soleil qui brille ou sous les nuages qui pleuvent. On ne peut rien y faire, c'est ainsi. Pourtant il m'arrive de dormir sous le soleil qui brille ou sous les nuages qui pleuvent et d'aller et venir sous les étoiles et la lune qui brillent la nuit, parce que le jour je suis fatigué et la nuit j'ai envie d'aller me balader sous la Lune. Ca arrive. Alors que vous, vous Monsieur Diard, je sais que la nuit vous dormez (ronflez-vous ?) et le jour vous vous adonnez au plus sain des labeurs dans votre ferme et sur les routes de la campagne sarthoise.

J'espère que le facteur de Crissé, qui doit être très gentil pour distribuer ainsi le courrier aux gens sans que ceux-ci ne lui demandent rien, vous apportera pareillement cette lettre, même si vous ne lui demandez pas la veille qu'il vous l'apporte. Mais enfin, il faut avouer que le timbre que J'ai collé y est pour beaucoup dans cette affaire.

C'est commode d'avoir un facteur sous la main pour qu'il nous apporte ainsi des lettres que l'on ne demande pas. S'il n'y avait pas de facteurs, il n'y aurait plus besoin de boîtes aux lettres dans les maisons. Plus besoin de lettres non plus. Plus besoin de timbres. Plus besoin d'enveloppes. On s'écrirait sans papier, sans enveloppe et sans timbre. Ca serait quand même moins onéreux.. Alors pourquoi ne pas rénover le système ? J'ai envie d'alerter le Ministère des Postes et Télécommunications pour lui faire part de mon idée. Et puis on pourrait étendre le système de la poste sans enveloppe et sans timbre au téléphone : on supprimerait le téléphone, les lignes et les poteaux téléphoniques, les annuaires, les cabines téléphoniques et les centres techniques, afin de téléphoner sans téléphone. Ainsi je pourrais vous appeler de Paris sans payer un seul centime ! Ca serait quand même mieux que le système actuel, qui nous oblige à avoir un téléphone et à payer la communication quant on veut parler à distance avec quelqu'un... Et puis il y a l'abonnement à payer aussi... Tout cela est vraiment trop cher et trop compliqué. Mais qu'y peut-on ? C'est Chirac qui décide à notre place, puisque c'est lui qu'on a élu. Il fallait élire quelqu'un qui propose de supprimer les timbres et le téléphone. Maintenant il est trop tard, il faudra attendre la prochaine élection présidentielle.

Pour ma part, si j'étais Président de la République Française, je supprimerais tous les feux rouges, et je les ferais remplacer par des feux verts permanents, afin que plus jamais les voitures ne s'arrêtent inutilement dans les villes à dépenser de l'essence qu'on paye cher pour faire du sur-place. Une voiture c'est fait pour avancer, alors pourquoi les pouvoirs publics s'obstinent-ils à placer des feux rouges qui stoppent les voitures dans les villes ? C'est bien pour embêter le monde qu'ils font ça !

Je ne vais pas vous prendre votre temps plus longtemps Monsieur Diard, et je vous dis au revoir en cette lettre. Nous viendrons peut-être ce week-end, j'espère. Bonne journée, bonjour à vos bêtes, bien le bonjour à l'Evêque du Mans si vous le voyez dans les parages faire du vélo, on ne sait jamais.

12 - Les bassesses de la séduction

Mademoiselle,

Me voici enfin libre de mes mouvements, mon coeur est libre d'aimer qui il veut et de battre où il veut. Donnons-nous rendez-vous à la cathédrale de Chartres. Je suis libre vous dis-je, et votre jour sera le mien.

Ce contretemps aura-t-il atténué vos femelles transports ? Vous avez l'âme d'une livresque amante, je sais votre tempérament ardent, croisons nos regards dans la cathédrale ! Y serez-vous ?

Aurez-vous le courage de rencontrer votre amant et d'engager avec lui une fatale amitié ? Je veux voir briller vos yeux d'amoureuse dans la cathédrale. Je veux sentir le parfum du scandale sous les voûtes sages du pieux édifice. Les amours provinciales ont des charmes vipérins vraiment irrésistibles : je veux boire à la fontaine vénéneuse. L'esthète a soif.

L'existence, en plus de ses ordinaires vicissitudes, offre de temps à autre des occasions de donner le vertige aux coeurs avisés. Et je ne manque jamais, croyez-moi, de répondre à l'appel du sort. Votre nom m'est aujourd'hui une faveur.

Lirez-vous cette lettre dans les mêmes dispositions de coeur et d'esprit où je l'ai écrite ? C'est mon plus cher espoir. J'attends votre agrément. Cette fois l'adversité ne contrariera pas mon dessein qui est de vous voir de près, de très près.

13 - Eloge du vice

Chère cousine,

Vous n'ignorez pas que je suis un garçon honnête, ami des arts, frère des hommes, fervent chrétien. Je vous sais femme de bien, cultivée, fortunée, vertueuse. Nous avons en commun le souci de redresser les torts de nos semblables moins bien nantis que nous ainsi qu'un ardent désir de justice, de beauté, de vérité... En conséquence, agréez de tout coeur les hautes vues que je vais vous dévoiler.

Partagez donc ma nouvelle lubie. Esprit curieux, critique, vous ne craindrez point de porter atteinte à vos convictions au nom du triomphe de la sainte vérité, ce triomphe fût-il obtenu au prix des larmes de nos sujets d'étude : nos semblables. Ces gens sans fortune sur qui nous daignons abaisser nos regards.

Soucieux d'égalité entre les êtres, préoccupé d'équité, tourmenté par l'idée de rapprocher les hommes les uns des autres, je me suis surpris à prendre en pitié tous les exclus : simples besogneux, racailles en tous genres, repris de justice, maquerelles, prostituées de bas étage, commis d'écurie, valetaille, manoeuvres, travailleurs de force, sans particule, miséreux de tous bords, vagabonds, bandits... Bref, tous ces gens de peu qui constituent la roture.

Rétablissons l'honneur de cette vile espèce, faisons-nous les chantres de sa cause afin que plus jamais les honnêtes gens n'en fassent leur bouc-émissaire. Que les bandits, les forçats, les gueux, les catins, les valets, enfin les pires criminels qui soient en ce monde, expriment enfin leur dignité et aient leur couronne, leur blason. Et que l'on porte haut leurs couleurs !

J'ai songé à une sorte d'académie dédiée à la race vile où tous ses membres pourraient jouir de la reconnaissance de leurs pairs, et surtout de la considération des honnêtes gens que nous sommes vous et moi. Il faut des droits nouveaux pour ces êtres-là, même si à nos yeux ils sont déchus.

Dans un souci de solidarité vis-à-vis de la piétaille honnie, l'on pourrait également convertir les gens de bien à la raison et aux intérêts de ceux que je veux aider ici. Quels meilleurs drapeaux, quels plus éloquents porte-parole de la cause que des belles gens adoptant, par pure solidarité, les moeurs de ceux qu'ils ont toujours injustement combattus au cours des siècles ?

Il faut répandre ces idées nobles parmi la bonne société, persuader les meilleurs éléments de cette humanité choisie à se ranger à ces vues révolutionnaires. Soyez du combat ma cousine. Unissez-vous à moi pour mener à bien ces desseins justes.

Secondez-moi, répandez ces idées nouvelles. Aidez les exclus, les damnés de la terre. Au nom de ceux-là, allez pervertir l'innocence, allez souiller l'honnêteté, allez avilir la beauté.

Répandons des idées de débauche parmi les vierges de bonne famille, montrons-leur l'exemple sans craindre de s'investir dans la pratique. Enseignons aux pucelles des couvents les pratiques charnelles les plus éhontées. Bref, incitons toutes ces timides au crime !

Apprenons-leur aussi le commerce, le travail manuel, la filouterie, la besogne du palefrenier, le vice et le goût de la bassesse. Soyons solidaires, fraternels, unis ! Volons, buvons, ripaillons, copulons, forniquons, "luxurions", sodomisons, commerçons, trompons, blasphémons et péchons encore !

Bref, encensons les bandits, pervertissons les jeunes filles vertueuses. Le progrès des coeurs est à ce prix. A l'instar du Christ qui n'hésitait pas à se compromettre en s'affichant avec la lie de l'humanité pour la sauver, mêlons-nous à la plèbe pour la mieux comprendre, la mieux aimer.

Salissez votre blanche réputation, faites-vous martyre pour la justice. Par bonté, imitons ces gens que nous avons toujours haïs : nos frères ! A l'heure où certains, se ralliant à quelque minorité oppressée arborent des brassards aux couleurs vives des vérités faciles, au nom de la cause indéfendable agitons notre noir drapeau !

14 - Plume martiale (ou l'art de l'attaque)


Aux imposteurs,

Je crois que les excès d'érudition de mes détracteurs sont là pour masquer une grande misère culturelle et intellectuelle chez eux. En fait ces gens sont de grands incultes et d'énormes frustrés. Ils donnent l'apparence de connaître de grandes choses en d'innombrables domaines. Ils font semblant de manier la langue avec leur plume de singe. Ils feignent avoir de l'esprit. Ils prétendent au talent même. Ils veulent faire les artistes...

Ce sont de grands simulateurs. Ils ont su tromper tout le monde, sauf moi. Je déclare la guerre aux imposteurs ! Ils se consolent de leur petitesse avec une culture, un savoir, une aisance intellectuelle de pacotille, par masques interposés. Mais tout est faux. L'illusion est leur domaine.

Leur insignifiance est telle qu'ils éprouvent le besoin de se faire chroniqueurs, critiques, penseurs, conseillers, trônant dans la minuscule assemblée d'un salon ultra local : celui des illusionnistes de leur espèce. Cela est bien, cela nous ébaudit même franchement, mais ça n'empêche pas qu'ils demeurent des imposteurs. A l'image des astrologues, ils transmettent de l'illusion.

Ils me haïssent parce qu'ils croient voir en moi leur véritable reflet, leur double insignifiant. En effet, je suis le miroir de leur misère, et c'est cela qui leur est insupportable. Ils me haïssent parce qu'ils sont convaincus que je suis l'image de ce qu'ils sont en vérité. Ce ne sont que des masques, et ils ne sauraient voir en face leur vrai visage que, selon eux, je suis censé représenter.

Voilà pourquoi ils sont si méprisants face à mes attaques. Je les blesse parce que je suis le révélateur de leurs mensonges. Leur mépris n'est que la signature de leur échec, de leurs artifices. Si je n'avais pas déjà dégainé, ils se seraient empressés de me désigner comme le tartuffe de service, de crainte que j'use de cette même arme contre eux. Mais à présent tout le monde sait que ce sont eux les véritables tartuffes. Levons le voile avant qu'ils ne détournent vers moi toutes les attentions afin d'éloigner d'eux le danger. Ils se seraient empressés de faire amorcer vers moi l'ire collective, ils m'auraient fait endosser leurs propres défauts, m'auraient fait expier à leur place.

D'habitude ils ont l'apparence de dignes esprits, et moi j'ai celle d'un clown. Mais aujourd'hui la vérité est rétablie.

Bas les masques les illusionnistes ! Vous n'êtes plus les maîtres : je prends votre place.

15 - Eloge de la banalité

Quoi de plus vulgaire en société que la différence, l'originalité, le hors-norme ? L'authentique bon goût n'est en vérité que dans ce que les esprits qui se prétendent supérieurs nomment la "banalité".

Ce que l'on désigne avec si peu de gloire comme étant la "banalité" dans les rapports humains est en fait le garde-fou contre tous les excès de mauvais aloi qu'affectionnent ces esprits rebelles à tout conformisme social.

Les conventions sociales les plus étriquées sont mes uniques repères dans le commerce que j'entretiens avec mes semblables. Je bannis toute forme d'originalité romanesque, "manouchisante" ou poétique au contact de mes chers égaux, de crainte d'enfreindre le saint protocole immuable, figé, pétrifié que conspuent tant mes détracteurs. Je veux parler de ces prétendus "originaux" qui se croient plus intelligents que les autres parce qu'ils se disent "ANTICONFORMISTES", "REBELLES", "RéVOLTéS"...

Il suffirait donc d'être vulgaire, choquant ou imprévisible pour être plaisant, plein d'esprit ?

Dieu merci, le conformisme a fait ses preuves : rien de plus aimable que les bonnes vieilles manières issues du conditionnement bourgeois séculaire. Le protocole le plus orthodoxe, c'est le costume-cravate de la relation : une attitude sans surprise, classique, formelle, conventionnelle.

Adopter le conformisme le plus étroit dans les rapports humains, c'est l'assurance de ne jamais faire de faute de goût.

Croyez-moi, dans la vie mieux vaut être critiqué pour excès de banalités, plutôt que pour excès d'originalité.

16 - Lettre à ma nièce de onze ans

Mademoiselle,

J'ai trouvé pour vous un bon parti. Vous ferez un heureux et beau et honnête hyménée. Un certain Monsieur de la Roche-Maillard s'est porté volontaire pour faire de vous sa légitime épouse. Il s'est proposé de devenir l'acquéreur de votre jeunesse, de votre avenir, de votre ventre principalement. Le futur auteur de votre future lignée, en somme.

Mais je vais vous parler un peu de ce beau Monsieur de la Roche-Maillard. C'est un honnête homme, descendant d'une grande famille de clercs et de bourgeois anoblie sous Louis le Treizième. Il est rentier, comme les gens de son espèce. Il jouit de toutes ses facultés mentales. Je dirais même qu'il est rusé, le renard !

Il n'y a qu'un léger défaut chez lui. Si léger qu'on le lui pardonne : c'est la bosse qu'il porte sur le dos. Une bosse affreuse me direz-vous ? Certes pas ! Bien au contraire, elle lui donne une silhouette, un aspect, un air caractéristiques. Sa bosse, c'est toute sa personnalité. Sa richesse, son coeur, son âme...

Son étendard.

Autre chose : ce bel homme est âgé. Quelle chance ! Il est très âgé même. Décidément, vous avez beaucoup de chance. Il n'est pas loin d'avoir atteint un siècle d'existence. A moins qu'il ait déjà dépassé cet âge vénérable... N'importe ! Il porte la canne avec beaucoup d'élégance. Quel ravissement que de le voir claudiquer avec sa bosse sur le dos le soir à l'heure de la promenade ! Il est édenté également. Rassurez-vous, son sourire n'a point perdu son charme pour autant. Et c'est cela véritablement qui est adorable. Il est chauve, ceci est encore vrai. Mais il faut voir avec quelle prestance il porte son beau chapeau de noble propriétaire ! Détail coquet : son front est parcouru de rides profondes qui le font ressembler à un vieux philosophe. De fait, l'on pourrait dire que ce vieillard est un jeune homme. Un jeune homme instruit par l'expérience de la vie, un jeune homme plein de sagesse. Vous ne lui résisterez pas Mademoiselle, cet homme a vraiment toutes les grâces du monde, vous en conviendrez.

Le mariage aura lieu dès que vos parents auront touché la dot.

17 - L'imposture chez Rimbaud

Il est arrivé à Rimbaud de composer des poèmes de choix, je ne le nie pas un instant.

Mais que dire, pour prendre un exemple célèbre, du «Bateau ivre» ? Qu'ont bien pu inventer les exégètes pour donner du prix à ce charabia ? Par quels chemins tortueux ces parfaits érudits sont-ils passés pour réussir le tour de force d'étaler et de vendre sans complexe, et au prix fort, leur science quant à la valeur de ce baratin versifié ? Comment peuvent-ils faire illusion aussi longtemps sans faire naître une saine, salutaire suspicion ? Pour moi cette oeuvre est tout simplement digne d'un canular de potache.

Il est vrai que l'ancienneté de l'oeuvre, le prestige de son auteur, son particulier retentissement dans les couloirs des lycées (contribuant ainsi à en faire une espèce de légende calibrée répondant parfaitement aux goûts du siècle, surtout chez les pubères émotifs un peu fragiles) lui confèrent un cachet poétique qui trompe tout le monde.

Les «connaisseurs» admirent le "Bateau ivre", qu'ils soient simples ignorants ou bien éminents docteurs en lettres. Dans les deux cas nous avons toujours affaire à des imbéciles victimes du tapage culturel ambiant.

Osons désacraliser ces mythes nés de la bêtise intellectuelle qui polluent notre jugement, notre sens critique, conditionnent notre pensée vers le bas et amoindrissent nos défenses mentales. Osons dire que le «Bateau ivre», c'est tout simplement un bel exemple d'âneries portées au rang de légende universelle.

J'ose affirmer que le «Bateau ivre» ne serait qu'une grossière mais efficace plaisanterie de Rimbaud. Au plus ces vers ne seraient que des banales élucubrations, des divagations égocentriques, des masturbations d'un auteur en mal de mal-être. Il était à la mode à l'époque de Rimbaud de jouer les poètes maudits et incompris, à la pensée éthérée, hermétique (en un autre temps pas si éloigné de Rimbaud, il était de bon ton pour les marquises et les dames du monde d'avoir des "vapeurs "). Le «Bateau ivre» n'est que le Veau d'Or de la poésie : une incommensurable hérésie.

Le triomphe de la vérité est parfois au prix de quelque apparent sacrilège. J'ose lever le voile sur le «mystère Rimbaud», quitte à vous déplaire un instant en vous montrant le visage de hideur qui se dissimule sous une imposture longue de plus d'un siècle.

18 - Je réponds à une carte de voeux de ma nièce, onze ans

Ma nièce, dans sa carte de voeux envoyée au mois de janvier de l'année 2001, me signifie qu'elle aimerait bien que nous fassions ma compagne et moi un bébé en ce nouveau millénaire... Voilà ce que je lui ai répondu :

Ma nièce,

Souffrez que je n'aie que faire de vos voeux pour l'année 2001. Vous pouvez garder vos souhaits hypocrites et parfaitement anodins pour les redistribuer au commun, au vulgaire, à la racaille.

Isabelle Rameaux ma compagne n'est pas une outre, une matrice, un ventre à poupons. Nous n'aimons pas les enfants elle et moi, je vous le rappelle. L'espèce puérile est à nos yeux une espèce nuisible, haïssable, encombrante. Nous préférons couvrir d'or et de soie notre chat, animal autrement plus noble, plus beau, plus aimable que vos horribles monstres tout fripés, et que vous appelez avec tant de niaiserie «bébés».

Nous gardons donc notre cher, notre adorable, notre irremplaçable petite princesse à quatre pattes. Jamais, m'entendez-vous, jamais nous ne troquerons ce cher ange à poils et à moustaches par un affreux braillard tout chauve et incontinent des trois orifices ! Les urines, les excréments et les vomissures répandus sur notre saint hyménée ne font pas partie de nos belles, poétiques et égoïstes aspirations. Nous n'éprouvons absolument aucun amour, aucune tendresse, aucune compassion pour la gent puérile que vous représentez si bien. Ou plutôt si pitoyablement.

Aussi je vous saurai gré de ne plus m'importuner avec vos sots courriers. Vous pourrez attendre encore longtemps que sorte du ventre de ma compagne quelque intrus à deux dents : son ventre est définitivement voué à des causes plus ludiques, plus légères, plus festives. Jamais il ne sera déformé de manière grotesque par un importun visiteur du Ciel. Les seuls anges que nous reconnaissons comme tels étant les chats, les chiens et même les araignées, tant notre horreur des enfants est absolue.

Bien le bonjour à vos géniteurs, Mademoiselle la pimbêche.

Votre parent.

19 - Le dernier mot

Dialogue imaginaire entre une plume et une page blanche.

- Aujourd'hui je m'ennuie, veux-tu me tenir compagnie un moment, mon amie ? Tu es si blanche, si belle toi la page vierge.

- Oui je suis vierge, et je crains depuis toujours que ne vienne une séductrice de ton espèce pour noircir ma vie. N'approche donc pas de moi si hardiment, car je saurai bien faire dévier ton trait afin de protéger ma vertu.

- Ne soit pas si farouche, je ne suis pas n'importe qui. Ma pointe est fine et délicate, somptueuse et élégante. Je trace ma ligne au fer souple et lisse du savoir-faire. Je ne suis pas une vulgaire bille épaisse et commune. Je suis une artiste. De mon flanc coule l'encre de Chine. J'oeuvre avec talent. Je suis de la race oubliée des plumes d'antan. J'ai le sang luisant et indélébile de la noblesse. J'ai tant de secrets à répandre sur ton grain soyeux, tant de choses à te raconter...

- Cesse ton beau discours, tu ne m'auras pas si facilement. Ma beauté tient dans ma pureté. Je suis trop fière de ma blancheur pour la sacrifier à des mots, si choisis soient-ils.

- Sans doute, mais ici ta beauté est muette, tandis que je puis, moi, lui donner la parole. Un beau texte vaudra toujours mieux qu'une belle page blanche.

- Peut-être, mais j'ai l'avantage d'être admirée par l'enfant encore analphabète. Ma beauté apparaît universellement aux êtres, à l'inculte comme au lettré, à l'enfant comme au vieillard, au savant comme à l'ignorant.

- Certes, cependant l'enfant grandit et apprend à lire. D'analphabète, il devient érudit. L'ignorant reçoit un enseignement.

- Et que raconteraient tes mots à ceux-là que tu aurais privé du spectacle de mon éclat originel ?

- Ils leur raconteraient d'autres éclats, d'autres beautés : ceux de mon art.

- N'insiste pas. Vierge je suis, vierge je demeurerai. Aucun trait, aucune lettre, aucune virgule, aucun point ne souillera ma face immaculée. Passe ton chemin sans même me frôler de ton doigt impur.

- Si je passe près de toi sans tracer ces mots enfouis en moi, ils seront perdus à jamais dans l'oubli. Les écrits au moins demeurent, alors que fuient les paroles. Laisse-moi au moins te toucher d'un mot, un seul. Et tu feras de moi une plume heureuse.

- Ta ruse est fine, mais tu ne m'auras pas. Tu ne parviendras pas à me toucher avec tes belles phrases bien emballées. Je ne tomberai pas dans le piège de tes jeux de mots perfides, aussi subtils soient-ils. Aucun mot, quel qu'il soit, ne viendra se coucher sur moi.

- Pourtant je suis sûre qu'un seul mot m'ouvrira la porte difficile de ton blanc hymen...

- Tu perds ton temps, plume légère et frivole. Je suis blindée, parée contre tous les mots tentants que tu pourrais imaginer afin de les coucher sur ma face inviolée. Je connais ces mots dangereux auxquels il faut éviter de prêter attention, comme par exemple les mots doux, les mots brillants, les mots de la fin, les bons mots, les mots pour le dire, etc. Tous des mots creux destinés à séduire les pages vierges de mon espèce.

- J'insiste encore, page blanche si belle, si fière ! Tu m'ouvriras la porte de tes charmes, grâce à un mot qui fera céder toutes tes résistances. Tu seras séduite par ce mot-là. Alors tu verras, il naîtra de cette union une histoire simple et belle : la nôtre.

- Ha oui ? Tu me sembles bien impertinente ! Ne serais-tu pas une plume de paon pour être gonflée de tant de vanité ? Quel est donc ce mot qui me ferait ainsi chavirer ?

- Ce mot, le plus juste qui soit, le seul dont la simple évocation t'ouvrira avec certitude à mes prières, entends-le bien, c'est très précisément le mot clé.


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